La mort de la dessinatrice française Claire Bretécher, autrice de plusieurs séries de bédé mémorables comme Les Frustrés ou Agrippine, qui a connu le succès populaire dans les pages du Nouvel Observateur dans les années 70 et 80, laisse aussi dans le deuil des amis et admirateurs québécois.

Parmi eux, Pierre Huet, ex-rédacteur en chef du magazine humoristique Croc et l’un des paroliers du groupe Beau Dommage, qui a été l’un de ses proches amis.

Pierre Huet l’avait invitée en 1975 à son Festival international de la bande dessinée de Montréal, une aventure qui a duré quatre ans. Dès leur première rencontre, la mayonnaise a pris. 

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Huet

C’était quelqu’un qui avait une franchise assez brutale, mais on s’est tout de suite très bien entendu. Elle m’avait dit de venir la voir à Paris, ce que j’ai fait, et rapidement, on est devenus amis.

Pierre Huet

C’est avec « beaucoup de peine » qu’il a appris sa mort, à l’âge de 79 ans, même si elle était « diminuée », avec ses « problèmes de mémoire » depuis 2015, a précisé Pierre Huet, qui n’est pas près d’oublier « les fous rires et les brosses » qu’ils ont partagés, que ce soit dans son appartement de Montmartre ou en vacances à Belle-Île, en Bretagne, où elle avait une maison.

« Elle n’est pas venue souvent au Québec, mais elle appréciait la chaleur des Québécois. On avait même été à Tadoussac voir les baleines ! Je l’avais aussi accompagnée dans une tournée américaine lorsque National Lampoon avait fait un album en anglais avec Les Frustrés. Comme elle était moins à l’aise en anglais, elle m’avait demandé de l’accompagner. »

« C’était vraiment une des reines de Paris, se rappelle encore Pierre Huet. Quand je l’appelais pour lui dire que je venais, elle me disait : ‟O.K., qui veux-tu que j’invite ? » Une fois, je lui avais dit : ‟J’aimerais bien rencontrer Charlotte Rampling. » Et quelques jours plus tard, Charlotte Rampling était à table avec nous… »

De talent et de travail

Sur le plan artistique, Pierre Huet estime que Claire Bretécher était à la fois une grande narratrice et une habile dessinatrice, capable de faire des croquis très précis, sans artifice.

  • Dessin de Claire Bretécher

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Elle était à l’avant-garde de la bédé adulte non érotique, entre autres par les rapports hommes-femmes et dans les préoccupations de ses personnages. Même si par exemple Agrippine était très parisienne, ce qui a fait chuter ses ventes au Québec, mais elle s’en foutait…

Pierre Huet

Claire Bretécher, qui a également fondé le magazine L’Écho des savanes avec ses amis Gotlib et Mandryka, sortait de sa zone de confort dès qu’elle le pouvait, insiste Pierre Huet. « Elle sortait tout le temps des sentiers battus. Elle refusait les étiquettes de gauche, féministe, parisienne, branchée, elle était elle-même, et elle faisait du Bretécher. »

Quand elle a eu un enfant, elle a publié sa série Les mères. L’autrice féministe, qui avait un sens de la répartie assez redoutable, a également créé des personnages assez fantasques comme cette princesse baptisée Cellulite (dans le magazine Pilote). Ou Agrippine, caricature d’une adolescente en crise, qui a été adaptée en dessin animé (diffusé sur Canal+) en 2001.

Ses dessins, qui paraissaient simples, elle les travaillait longtemps. « Pour une page de 12 cases dans le Nouvel Observateur, elle en dessinait au moins 36 et elle choisissait les meilleures », se rappelle Pierre Huet.

Elle [a] créé une galerie de personnages lui permettant de s’attaquer à des sujets de société qu’elle aura, très souvent, identifiés bien avant la plupart de ses contemporains. Au point qu’en 1976, Roland Barthes dira qu’elle est la « sociologue de l’année ».

Dargaud, maison d’édition de Claire Bretécher

C’est ce qui a attiré l’illustratrice Élise Gravel, qui a lu tous les albums de la série Les Frustrés durant sa jeunesse. « Même si je ne comprenais que 20 % des blagues, avoue-t-elle. Mais je les ai lus et relus au fil des ans, j’adorais ça. Qu’une femme ose s’exprimer sur la société sans que ce soit cute et gentil, ça donne du front et du courage, c’est sûr que ça m’a inspirée. »

Élise Gravel se souvient encore que Claire Bretécher était la seule femme de sa bibliothèque de bédés. « Il y avait quelque chose d’effronté et de courageux dans sa critique sociale. Un miroir de la société acerbe qui faisait qu’on se questionnait. Je ne l’ai jamais rencontrée, mais c’est quelqu’un que j’admire profondément. »

Sur sa page Facebook, le bédéiste Jean-Paul Eid (La femme aux cartes postales, Le naufragé de Memoria, Les aventures de Jérôme Bigras) lui a également rendu hommage.

« Ce qu’on ne dira jamais assez au sujet de Claire Bretécher, c’est le courage qu’il a fallu pour se faire une place dans ce monde exclusivement mâle de la bédé de l’époque. Bédé alimentée par un imaginaire uniquement masculin, et j’oserais dire plutôt machiste. Elle était à la fois leur complice et leur critique, une position délicate qui ne l’a pas empêchée d’ouvrir les portes à toute une génération d’autrices. Une pionnière à qui la bédé doit beaucoup ! »

Claire Bretécher, qui peignait aussi avec beaucoup de talent, a produit une série de portraits de ses proches et d’autoportraits « saisissants et sans concession », a indiqué son éditeur Dargaud. « À son style graphique unique répondait un langage Bretécher [ou l’inverse]. Son sens du dialogue, son inventivité et son art du raccourci étaient époustouflants », conclut l’éditeur dans son message.