L’œuvre de l’écrivain britannique Ian McEwan s’étend sur une période de 45 ans et comporte aussi bien des thrillers que des romans qui abordent avec finesse les enjeux de notre époque. Qu’on pense seulement au récent L’intérêt de l’enfant, dialogue entre une juge et un jeune garçon qui refuse un traitement médical pour des motifs religieux.

Dans Une machine comme moi, son 15e roman, c’est d’intelligence artificielle qu’il est question. McEwan situe l’action non pas dans un avenir lointain, comme c’est souvent le cas dans les romans de science-fiction, mais plutôt dans les années 80, dans un Royaume-Uni dirigé par Margaret Thatcher. Dans ce roman qu’on pourrait qualifier de rétrofuturiste, l’auteur s’est amusé à jouer avec l’histoire en imaginant un Brexit avant l’heure ainsi qu’une issue différente pour la guerre des Malouines. Grâce à la magie de la littérature, il a aussi réécrit le destin du scientifique Alan Turing qui connaît, dans le roman, une carrière florissante, fabriquant entre autres des robots humanoïdes qu’on peut acheter pour quelques centaines de milliers de dollars.

Charlie, jeune homme un peu nerd et un peu loser, brûle l’héritage reçu de sa mère pour acquérir un de ces robots, Adam, qui viendra perturber la relation qu’il entretient avec sa voisine Amanda.

La présence du robot dans le quotidien du couple crée plusieurs malaises. Il soulève aussi des questions d’ordre éthique. Et existentielles. Premièrement, sur le pouvoir de l’humain sur la machine. Car c’est Charlie et Amanda qui ont entre les mains le manuel pour programmer Adam et lui attribuer des qualités jugées essentielles qui détermineront ses comportements et ses réactions. Mais comme lorsqu’on élève un enfant, on a beau avoir les meilleures intentions du monde, il y a toujours une part de sa personnalité qui nous échappe. Au fil des pages qui se lisent un peu comme un thriller, le robot prend de l’assurance et ses comportements déstabilisent Charlie. Par exemple, Adam fait part à Charlie de son intuition à propos du passé caché d’Amanda. Il réagit parfois violemment à des commentaires de Charlie. Bref, la machine fait preuve d’une volonté propre et force son entourage à se repositionner.

Les questions philosophiques soulevées par McEwan sont fascinantes et ne sont pas sans rappeler les écrits d’Isaac Asimov, qui est bien entendu cité dans le livre. McEwan a fait ses devoirs et son roman repose sur une recherche fouillée qui donne de l’étoffe au récit et à la réflexion.

Au fond, se demande l’écrivain, qu’est-ce qui nous sépare de la machine ? Notre humanité ? Mais encore ? Quelques circuits électriques ? Adam a des réactions très proches de celles de Charlie, des relations qu’on pourrait qualifier d’humaines. Mais cette ressemblance a ses limites. Les compromis moraux qui composent le quotidien des humains lui sont inaccessibles. Et comme les enfants qui, arrivés à l’adolescence, découvrent que leurs parents ne sont pas parfaits, le robot Adam connaîtra un certain désenchantement.

Ultimement, en tant que propriétaire, Charlie a le pouvoir de débrancher Adam, pouvoir qui lui sera contesté. Finalement, qui manipule qui ?

Avec sa plume raffinée et limpide, McEwan pénètre au cœur des questions liées à l’intelligence artificielle qui sont avant tout des enjeux philosophiques.

C’est le livre parfait pour un club de lecture, car il soulève des questions qui alimenteront les discussions jusqu’à tard dans la nuit.