Prince nous a quittés au printemps 2016, moins de quatre mois après David Bowie. Les deux icônes du rock font l’objet d’ouvrages aux démarches opposées, mais également éclairantes. Coup d’œil.

Prince par lui-même

Trois mois avant sa mort, Prince a voulu écrire ses mémoires. Ce mot ne rend pas justice au projet qu’il avait en tête : il voulait se raconter, oui, mais aussi mettre fin au racisme, déconstruire les principes du capitalisme individualiste et raconter les difficultés auxquelles doivent faire face les artistes. Il voulait écrire ses mémoires, donc, en se réservant le droit – et il fallait que ce soit clair dans le contrat d’édition – de faire le livre qu’il voulait et même de le retirer des magasins s’il jugeait un jour qu’il ne lui correspondait plus.

Prince est mort en avril 2016. Sans avoir pu mener cet ambitieux projet à terme. Quelle forme aurait-il prise ? Qu’aurait-il raconté ? Qu’aurait-il souhaité dévoiler ? Quelle part de mystère aurait-il souhaité préserver ? The Beautiful Ones, ses « mémoires inachevés », ne répond pas à toutes ces questions, mais pose un regard pénétrant sur les envies, la vision du monde et la personnalité de cet artiste à la dégaine et à la combativité légendaires.

Ce livre existe parce que Prince n’a pas voulu le réaliser sans l’aide d’un collaborateur. Son choix s’est arrêté sur Dan Piepenbring, un journaliste peu connu qui ne sait même pas pourquoi il a décroché ce boulot, comme il le raconte lui-même dans la touchante introduction. Après un étrange entretien à Paisley Park, maison-studio de Prince située en lointaine banlieue de Minneapolis, au Minnesota, l’artiste a commencé à lui ouvrir les portes de son monde et à s’ouvrir à lui. Tout simplement.

Il ne savait pas que le lien qu’il commençait à développer avec Prince serait coupé abruptement quelques semaines plus tard. Il a voulu, avec l’éditeur Random House, en témoigner.

The Beautiful Ones raconte cet élan brisé, tout en donnant accès à l’intimité d’un artiste secret, capable de louer un cinéma au complet, pour avoir le plaisir de voir un film d’animation sur grand écran, et d’organiser des concerts dans sa propre maison.

Le cœur de ce livre, ce sont toutefois les témoignages directs de Prince. Peu après sa rencontre avec Dan Piepenbring, il s’était en effet mis à écrire ses souvenirs : son père musicien, sa mère frivole, ses premières amours, son lien avec la musique « qui guérit tout ». Sa quête profonde du funk. Ces pages écrites de sa propre main s’avèrent aussi fascinantes qu’éclairantes.

Ces « mémoires » abondamment illustrés donnent quelques clés pour comprendre le personnage, mais aussi pour entrevoir que Prince n’était pas que ça. Tant s’en faut. Derrière ce créateur allergique à la facilité, il y avait un homme profondément conscient des structures de pouvoir, rebelle devant l’obéissance aveugle et prêt à se battre pour défendre l’art et sa valeur.

IMAGE FOURNIE PAR ROBERT LAFFONT

The Beautiful Ones, de Prince

The Beautiful Ones, de Prince, chez Robert Laffont

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

David Bowie en 1997

Regards sur Bowie

Il y a quelques semaines, Sébastien Mertel et des collaborateurs ont publié un livre qui raconte Gainsbourg à travers sa musique, après des dizaines d’entrevues avec ses collaborateurs. Rainbowman, que le journaliste et musicien Jérôme Soligny consacre à David Bowie, fait de même. Le pianiste Mike Garson s’en réjouit dans sa préface : « Rainbowman ne traite que de musique. Pas de potins, rien de cette nature. »

Jérôme Soligny a construit son livre à partir d’entretiens inédits avec des personnes – près de 300 ! – qui ont collaboré avec Bowie : musiciens, réalisateurs, designers. Des gens connus, bien sûr, et d’autres moins. Sa ligne directrice : la pertinence. Et l’exactitude.

Observateur privilégié de la trajectoire de Bowie depuis des décennies – c’était un ami –, Soligny était, de l’avis de l’artiste lui-même, celui qui possédait la meilleure mémoire de sa carrière…

Rainbowman possède une structure assez simple : aux courts chapitres dans lesquels Soligny raconte les expériences musicales de Bowie, de l’adolescence à 1980, succèdent des pages mauves où l’auteur propose des extraits d’entretiens avec ses collaborateurs. Ces passages fourmillent d’anecdotes, qui font l’effet de polaroïds croqués en studio.

On lit comment Tony Visconti a créé le son de l’intro d’Ashes to Ashes (à partir d’un piano à queue et d’un effet Instant Flanger) parce que le Wurlitzer du studio ne fonctionnait plus. On découvre mieux la dynamique de création de Bowie quand Mick Ronson dit : « [David] se cherchait lui-même et ne savait pas, précisément, quel genre d’artiste ou de musicien il voulait devenir. En nous laissant faire, il pouvait entrevoir des directions et, éventuellement, choisir laquelle prendre. »

Rainbowman est un livre touffu, qui se lit et se digère à petites doses. Un ouvrage étoffé, recherché, écrit par un passionné éclairé, pas par un admirateur béat ou une plume à la recherche de sensations. Soligny cherche et donne du sens à la trajectoire complexe et éclatante d’un artiste caméléon. Un deuxième tome, consacré aux années 1980 à 2016, doit paraître l’an prochain.

IMAGE FOURNIE PAR GALLIMARD

Rainbowman – David Bowie 1967-1980, de Jérôme Soligny

Rainbowman – David Bowie 1967-1980, de Jérôme Soligny, chez Gallimard