(Pristina) Le Kosovo a déclaré mercredi persona non grata Peter Handke, dont la consécration par le Nobel de littérature avait suscité l’indignation dans les Balkans, interdisant à l’écrivain admirateur de Slobodan Milosevic de revenir dans un territoire visité maintes fois.

Le prix remis mardi à l’auteur autrichien par l’Académie suédoise a ravivé les plaies dans l’ex-Yougoslavie où il est accusé de révisionnisme quant aux crimes commis par les forces serbes durant les guerres qui ont accompagné l’éclatement de la Yougoslavie.

Les ambassadeurs du Kosovo, de la Bosnie, de la Croatie et de la Macédoine du Nord, qui faisaient tous partie de la fédération yougoslave, figurent parmi ceux qui ont boycotté la cérémonie à Stockholm.

« Aujourd’hui, j’ai décidé de déclarer que Peter Handke n’est pas le bienvenu au Kosovo. À partir d’aujourd’hui, c’est une personne non grata. Nier les crimes et soutenir les criminels est un crime terrible », écrit le ministre kosovar des Affaires étrangères, Behgjet Pacolli, sur Facebook.

Peter Handke avait été particulièrement critiqué quand il s’était rendu aux obsèques de Slobodan Milosevic, l’ancien homme fort de Belgrade, chantre de la grande Serbie mort en 2006 alors qu’il attendait son jugement pour génocide, crimes de guerre et crime contre l’humanité.

L’écrivain autrichien n’a pas beaucoup d’amis parmi les Albanais majoritaires au Kosovo, où la guerre d’indépendance contre Belgrade en 1998-99 fit 13 000 morts.

Les Albanais du Kosovo n’ont pas oublié qu’en 1999, l’écrivain avait restitué le prix littéraire allemand Buechner pour protester contre la campagne de frappes de l’OTAN qui contraignit Milosevic à retirer ses forces du territoire.

Mais l’auteur s’est rendu plusieurs fois dans le minuscule village de Velika Hoca, l’une des dizaines d’enclaves serbes éparpillées dans l’ancienne province de Belgrade.

« Colère et humiliation »

Il a fait don de près de 100 000 euros (146 000 $) au minuscule village de 500 habitants, auquel il a consacré un ouvrage intitulé Les coucous de Velika Hoca après une visite d’une semaine en 2008, peu après la déclaration d’indépendance du Kosovo.

À Velika Hoca, où il s’est rendu pour la dernière fois en 2014, une grande affiche ornée d’un portrait de l’auteur en train de lire un livre est aujourd’hui accrochée aux murs. « Félicitations à notre Nobel », proclame-t-elle anglais, serbe et italien.

L’attribution de ce prix Nobel 2019 de littérature est aussi une source de douleur pour de nombreux musulmans de Bosnie qui l’accusent de « nier le génocide » commis par les forces serbes pendant la guerre.

Peter Handke a également été déclaré persona non grata mercredi par l’assemblée du canton de Sarajevo, qui a estimé qu’une « visite éventuelle […] provoquerait la colère et l’humiliation de toutes les victimes » de la guerre.

Pendant le conflit bosnien, l’auteur « soutenait le régime dirigé par le criminel Slobodan Milosevic » et a « plusieurs fois nié le génocide de Srebrenica », dans lequel 8000 musulmans, des hommes et des adolescents, furent tués par les forces serbes de Bosnie, selon l’assemblée de la capitale bosnienne.

Les soutiens serbes de l’écrivain le saluent en revanche pour avoir pris en compte les souffrances des Serbes pendant ces guerres et remis en cause la thèse selon laquelle ils étaient alors les seuls agresseurs.

À Belgrade, une députée Mirjana Dragas membre de la coalition au pouvoir a proposé mercredi la création d’un prix des droits de l’Homme en son nom.

Peter Handke, un homme « courageux, mais avant tout un grand romancier », fut l’un « des rares à rechercher la vérité durant les années 1990 », a-t-elle dit.