Le Salon du livre s’apprête à tourner une page de son histoire, au terme de cette année particulièrement foisonnante. Nous sommes allés sonder auteurs et éditeurs, pour qui les séances de dédicace sont toujours l’occasion de belles rencontres, mais aussi de beaux malaises. Entre deux signatures, ils ont ouvert pour nous leur boîte à anecdotes.

Des files longues comme un roman de Dostoïevski se forment aux endroits névralgiques du Salon. Parfois, juste à côté des auteurs à succès, des écrivains moins connus se retrouvent seuls comme des Robinson Crusoë. Assurément, l’exercice de dédicace d’ouvrages n’est pas le même pour tous. Mais ceux qui signent à la chaîne en voient des vertes et des pas mûres : tantôt des lecteurs émus et émouvants, tantôt des hurluberlus « malaisants ».

Patrick Senécal en sait quelque chose. Tout juste avant d’affronter l’immense brochette de lecteurs qui s’était formée devant son pupitre, il a pris quelques secondes pour nous livrer une anecdote loufoque.

« Un jour, un couple de gothiques est venu pour me dire qu’ils organisaient des soirées échangistes tous les mois, et qu’ils avaient décidé de faire une thématique avec mon roman Aliss. Ils ont dit qu’ils seraient très honorés que j’y participe. Je leur ai dit : “Je vais en parler à ma blonde, avant.” On n’y est pas allés ! », rigole l’auteur de Ceux de là-bas, qui dit toutefois beaucoup apprécier ces rituels de rencontre avec ses lecteurs.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Senécal

Également dans le domaine du saugrenu, un clown muni de gants de travail est venu serrer la main d’Antonine Maillet, lors de la séance d’ouverture du Salon, dont elle est l’une des invitées d’honneur.

Autre monstre sacré de la littérature rompu aux marathons de dédicaces : Michel Tremblay. La rencontre qui l’a marqué ? « Une dame est venue pour me dire : “M. Tremblay, dans l’un de vos romans, l’un des personnages a les yeux bleus et, dans le roman suivant, il a les yeux bruns.” Je lui demande : “Madame, me lisez-vous parce que vous aimez ce que je fais, ou pour me prendre en défaut ?” Elle m’a répondu : “Ben, les deux…” », raconte celui qui était venu signer Le cœur en bandoulière.

De ces immenses serpents de lecteurs devant parfois attendre des heures, il arrive qu’émane de la vapeur. Le directeur commercial de Flammarion Québec se souviendra longtemps de la plus grande séance de dédicace qu’il eut à gérer, le jour où feu Charles Aznavour était venu parapher ses mémoires à Montréal. 

Il y avait de la tension, et les vieilles dames n’étaient pas prêtes à laisser leur place ! Une femme s’était évanouie, et d’autres criaient : “Elle fait semblant pour avancer dans la file !”

Jean-François Roy, directeur commercial de Flammarion Québec

Quant aux kiosques de littérature jeunesse, particulièrement prisés, ils connaissent aussi leur lot de malaises. « Des fois, des enfants viennent faire signer des livres dont nous ne sommes pas les auteurs… », s’étonnent Maxim Cyr et Karine Gottot, respectivement illustrateur et autrice de la série de BD Les dragouilles, qui dédicaçaient à tout rompre. Heureusement, les deux complices gardent aussi des anecdotes plus heureuses dans leur manche.

Pleurs et bonheur

« Hier, un jeune est venu nous voir. Il était tellement heureux, assez pour qu’on devienne nous-mêmes émus, relate le bédéiste Maxim Cyr. Il avait les larmes aux yeux, ses chums l’ont entouré pour le réconforter. »

Des larmes, les adultes en laissent aussi couler. Marie Laberge, qui donne pas moins de cinq séances de dédicaces dans le cadre du Salon, crée parfois des secousses émotives chez certains de ses admirateurs. « Elle attire les confidences. Je vois souvent les gens pleurer en la rencontrant », témoigne Nathalie Ranger, coordonnatrice de la promotion pour Québec Amérique.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Bernard Werber dédicace son livre Sa majesté des chats.

Afin de pouvoir jaser dédicaces avec Bernard Werber, autre vedette du Salon, nous nous sommes glissés dans la file d’attente. Généreux avec ses lecteurs (il composait un dessin pour chacun d’eux), il nous a servi son expérience la plus marquante. « À Nice, une jeune fille est venue me voir et m’a dit : “Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, et j’ai envie que vous soyez mon cadeau”. On a vécu trois ans ensemble. Elle avait lu Les Thanatonautes et m’a inspiré L’empire des anges, que je lui ai dédié », confie l’auteur à succès, qui vient de publier Sa majesté des chats.

Il se souvient aussi de ses débuts, quand son nom était encore inconnu et qu’il attendait « les lecteurs comme un pêcheur attend que ça morde ». Trop heureux d’avoir réalisé ses souhaits de succès, il tient mordicus à rencontrer tous ses lecteurs, peu importe la longueur des files, qui ont déjà atteint 1500 personnes en Corée du Sud. « Je ne suis jamais parti en laissant des lecteurs sans dédicace. Au point d’en arriver à presque manquer un avion ou une entrevue à la télé. »

Il vous reste jusqu’à lundi pour rencontrer vos auteurs préférés et leur soutirer, qui sait, quelques mots qui ensoleilleront votre journée.