(Berlin) L’écrivain autrichien Peter Handke, prix Nobel de littérature 2019 controversé, a défendu mercredi son engagement en faveur des Serbes au moment de la guerre en ex-Yougoslavie et assuré ne s’être « jamais incliné » devant Slobodan Milosevic.

« À aucun moment je ne me suis incliné (devant l’ancien homme fort de Belgrade). Ni intérieurement ni extérieurement », assure l’Autrichien de 76 ans dans un entretien à Die Zeit, le premier dans lequel il revient sur ses engagements controversés depuis l’attribution du prestigieux prix Nobel en octobre.

« Je ne l’ai vu qu’une seule fois, il était prisonnier à La Haye », poursuit-il dans cette longue entrevue réalisée à Chaville, en banlieue parisienne, où il vit depuis « près de trente ans ».

« Je voulais l’entendre. L’avocat de l’ancien président m’a demandé si je voulais lui parler. J’ai écouté ce qu’il avait à dire », souligne-t-il.

Interrogé sur sa présence aux obsèques de Milosevic en 2006, qui avait fait scandale, Peter Handke estime : « Bien sûr que j’y étais. Dans l’un des derniers votes, il s’est prononcé pour que la Yougoslavie ne soit pas démantelée. Sa tombe était aussi la tombe de la Yougoslavie. A-t-on oublié que cet État avait été fondé contre le Reich d’Hitler ? »

En 1996, un an après la fin des conflits en Bosnie et en Croatie, Peter Handke avait publié un pamphlet, Justice pour la Serbie, qui avait suscité la polémique.

En 1999, il avait aussi condamné les bombardements occidentaux sur la Serbie, menés pour forcer Milosevic à retirer ses troupes du Kosovo.

« Aucun des mots que j’ai écrits sur la Yougoslavie n’est dénonçable, pas un seul. C’est de la littérature », poursuit encore l’écrivain. « Bien-sûr j’ai été seul. Je suis Yougoslave de par ma mère et de par le frère de ma mère qui a étudié à Maribor […] La Yougoslavie a signifié quelque chose pour moi ».

Peter Handke souligne en outre qu’il s’agissait pour lui « de justice pour la Serbie ». Le conflit en ex-Yougoslavie a été « une guerre fratricide et il n’existe pas de guerre plus terrible que la guerre fratricide ».

« Combien de Serbes ont vécu en Croatie, en Krajina (entité serbe autoproclamée de Croatie pendant la guerre d’indépendance de Croatie, NDLR) ? Et tout à coup ils devaient être un peuple inférieur dans leur propre pays ? », s’interroge-t-il.

L’attribution du prix Nobel de littérature a déclenché une vague d’indignation, notamment dans les Balkans où les plaies de la guerre restent vives.

Chantre de la grande Serbie, Milosevic est mort en détention alors qu’il attendait son jugement pour génocide, crimes de guerre et contre l’humanité.

Il devait notamment répondre de sa responsabilité dans le siège imposé par les forces serbes à Sarajevo (1992-95, 11 000 morts) et le massacre de 8000 hommes et adolescents bosniaques à Srebrenica en juillet 1995, la pire tuerie sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale.

La remise des prix Nobel aura lieu le 10 décembre, jour de l’anniversaire de la mort d’Alfred Nobel.

« On peut louer » une queue-de-pie, relève-t-il à propos de la tenue qu’il devra porter lors de la remise de sa récompense. « Ce sera comme chez les pingouins de l’Antarctique qui plongent ensuite dans la mer », ajoute-t-il.

Lorsqu’il a été couronné le 10 octobre, il était « en train de cirer » ses chaussures. « J’ai vu le numéro » de téléphone qui s’affichait sur l’écran du téléphone. « Et j’ai d’abord pensé que (l’appel) venait des Pays-Bas parce que j’attendais un appel de là-bas. Mais c’était Stockholm ».

Interrogé pour savoir s’il s’est réjoui de ce prix, il répond : « C’était autre chose. C’était une grande paix en moi. C’était. Mais je la ressens encore parfois. Elle revient toujours ».