Frantz Benjamin appartient à cette espèce, plutôt rare depuis le célèbre Gérald Godin, des députés-poètes. « Oh, mais il y a aussi Catherine Dorion ! », tient-il à préciser.

Le député libéral de Viau, qui a longtemps été conseiller municipal, nous reçoit dans ses bureaux de la rue Jarry, et son souci pour le livre se fait immédiatement sentir lorsque, après la prise de photo, il donne à notre photographe Marco Campanozzi un exemplaire du Saint-Michel des Haïtiens, qu’il a dirigé aux éditions du CIDIHCA. « Chaque personne qui passe ici doit repartir avec un livre », dit-il. Je repartirai donc avec son cinquième recueil de poésie, Vingt-quatre heures dans la vie d’une nuit, publié chez Mémoire d’encrier en 2010. On peut y lire un poème intitulé Métro Saint-Michel : « Quelques rames d’extase/pour endormir nos corps/étaler la fatigue/sur les trottoirs de la nuit »…

« Dans chacun de mes recueils, il y a toujours un poème sur Saint-Michel », explique celui qui, né en Haïti, est arrivé ici à l’âge de 14 ans, un soir d’hiver. Parce que ce quartier, bigarré et très diversifié, lui a donné son identité. Et c’est en tant que poète, tout autant qu’en tant que député, qu’il veut redonner ce qu’il a reçu de Saint-Michel. « C’est un quartier beau parce que les gens qui y habitent sont beaux. Quand on prend le temps de jaser avec eux, on s’aperçoit que ce sont de grandes trames de vies, des morceaux de vie intenses, qui nous donnent une belle perspective sur le futur. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Frantz Benjamin, député libéral de Viau et poète

Mon Québec à moi puise ses ancrages ici, et quand je prends la parole à l’Assemblée nationale, j’ai toujours en tête Saint-Michel.

Frantz Benjamin

Mais, en bon politicien, il refuse de me dire quels sont les meilleurs restos haïtiens et italiens du coin. « Je ne veux pas faire de jaloux ! »

Premier quartier invité du SLM

Saint-Michel va inaugurer un nouveau volet du Salon du livre de Montréal (SLM) qui commence aujourd’hui, soit celui des quartiers invités. Une idée née d’une discussion l’an dernier au salon entre son directeur général, Olivier Gougeon, et Frantz Benjamin. « Quand j’ai été nommé, j’avais comme volonté de faire davantage de place à Montréal au Salon, souligne Olivier Gougeon. J’aime bien l’idée des pays invités, mais je me dis que c’est beaucoup d’énergie pour valoriser la littérature d’ailleurs. N’y a-t-il pas moyen de valoriser nos propres quartiers ? On a trouvé magique l’idée de Saint-Michel pour lancer le projet. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Gougeon, directeur général du Salon du livre de Montréal

Ainsi’ cette année, le quartier aura un espace au salon, ainsi que de nombreuses activités pour lui faire honneur. Des auteurs se déplaceront aussi vers Saint-Michel pour des lectures et des ateliers. Enfin, plus de 1000 billets ont été distribués aux Michelois et Micheloises pour qu’ils puissent se rendre au Salon du livre. « Nous avons affrété des autobus pour les enfants et les aînés, parce que ce n’est pas évident de se rendre à la Place Bonaventure à partir du quartier Saint-Michel », note Olivier Gougeon. « C’est un quartier bariolé et morcelé, traversé par une autoroute, ciselé par deux grands boulevards, Saint-Michel et Pie-IX, avec au nord un chemin de fer », décrit Frantz Benjamin, pour résumer la géographie de ce coin particulier de Montréal.

Ce partenariat est plus que bienvenu, car Frantz Benjamin m’apprend qu’il n’existe pas de librairie dans Saint-Michel, ce qu’il déplore, bien sûr.

Ce dont je rêve, c’est que cela puisse être une bougie d’allumage pour les enfants, les jeunes et les familles vers le livre et la lecture.

Frantz Benjamin

« Nous n’avons pas de librairie. Il y a une bibliothèque qui est plutôt au sud du quartier. J’ai grandi le long du boulevard Pie-IX, et mes parents ne voulaient pas que j’aille à cette bibliothèque parce que c’était trop loin et dangereux, traversé par la Métropolitaine. Je devais me rendre à la bibliothèque de Saint-Léonard. Nous avons encore cet enjeu d’avoir des lieux d’accès et des plateformes culturelles pour les amoureux des livres. On a besoin d’une librairie ! Par contre, nous avons une belle effervescence culturelle. Assez souvent, je fais des slams avec de jeunes poètes… »

Saint-Michel est un fer de lance pour l’accueil des nouveaux arrivants. Frantz Benjamin me détaille les vagues qui ont enrichi le quartier. Italiens, Portugais, Haïtiens, Latino-Américains, Maghrébins, Africains, Pakistanais, Cambodgiens, Vietnamiens… Environ 70 000 âmes aujourd’hui « qui vivent en harmonie et majoritairement francophones », tient-il à préciser.

L’autre grand défi de Saint-Michel, selon son député, est de nature économique. Le Québec a beau être dans une situation de plein emploi à l’heure actuelle, le taux de chômage des résidants du quartier est plus élevé que la moyenne provinciale, un problème persistant qui touche les minorités. Mais la culture demeure clairement au cœur de ses priorités. « Nous sommes le siège social du Cirque du Soleil, de la TOHU, qui sont des entreprises très engagées dans la communauté. Mais ça nous prendrait un théâtre, et une librairie, ce serait extraordinaire. Je porte des projets fous. Car je crois beaucoup dans cette idée que c’est par la culture qu’on arrive à faire plein de choses. Étant moi-même quelqu’un qui a presque été sauvé par la poésie, je connais la valeur des livres. »

Le député-poète, grand admirateur des Miron, Émile Ollivier, Gilbert Langevin, Anthony Phelps, Bruno Roy et Lenous Suprice, un habitué du Salon du livre de Montréal, n’oubliera pas de sitôt la programmation de 2019, c’est certain.

Le Salon du livre de Montréal se tient à la Place Bonaventure jusqu’au 25 novembre.