Entrevue à bâtons rompus avec Fred Pellerin, où il est question de livres à l’ère du numérique, de l’ADISQ, d’achat local et d’implication sociale dans son patelin natal.

Un livre comme un décompte

Fred Pellerin a lancé cette semaine Un village en trois dés, inspiré du spectacle du même nom, actuellement en tournée. « Ce sont les histoires en versions plus littéraires, que j’ai écrites alors que le show avait atteint un certain niveau de mûrissement. 

« Pour moi, le livre est une façon de m’empêcher d’avoir un deuil à faire. Dans un an, je ne ferai plus ce show-là. Ou rarement. On va faire les dernières supplémentaires partout, on va fermer toutes les portes. Une dernière fois à Montréal, à Longueuil, à Sherbrooke. Après, on va voir les communautés francophones de l’est du pays, puis de l’ouest. Une fois le livre publié, le décompte est commencé… »

Passage au numérique

Autre nouveauté : le conteur voit tous ses livres de contes (il en a publié sept jusqu’ici) numérisés. De plus, les captations audio de ses spectacles peuvent désormais être achetées en ligne, sur toutes les plateformes.

S’il est content de ce passage au numérique, Fred Pellerin avoue qu’il a un rapport privilégié avec les livres de papier. « On m’accusera de nostalgie, mais je n’achète pas de livres numériques. Je ne sais pas comment faire. Par contre, j’achète beaucoup, beaucoup de livres en papier. »

Pour la musique, je suis passé au numérique parce que l’auto que j’ai achetée, il n’y a même plus de trou pour mettre un CD dedans.

Fred Pellerin

« Je m’achète de la musique sur iTunes, mais sinon, technologiquement, je plafonne. Présentement, j’essaie d’apprendre à faire des virements Interac. Je suis là. »

Un Félix à la saveur particulière

Fred Pellerin a remporté au dernier gala de l’ADISQ le Félix de l’album folk de l’année, pour son album Après. Son 17en carrière. « Je me suis rendu compte que ça faisait 15 ans que j’allais à l’ADISQ et que j’étais encore allé chercher un trophée. J’ai réalisé le privilège de durer, surtout dans ces métiers-là où on sait que les carrières peuvent être très, très courtes. »

Il était aussi cité dans la catégorie Interprète masculin de l’année, mais il a vu ce trophée lui échapper sans pincement au cœur. « J’étais content pour Loud. J’aime ça que les jeunes rentrent là-dedans et viennent brasser la cage un peu. J’étais content de l’ADISQ cette année : [Michel] Rivard en a gagné un, Loud, [Alexandra] Stréliski et Florent Vollant aussi… C’était beau. Autant le marché de la musique est en détresse – on ne sait pas comment ça va se gérer à court terme –, autant on se rend compte que la création musicale n’est surtout pas morte. C’est comme si le bateau n’arrive plus à tenir sur ces nouvelles règles du marché, mais que les matelots et les rameurs continuent. »

Les solutions pour remettre le bateau à flot passent, selon lui, par la taxation des géants que sont Spotify et compagnie, mais aussi par une consommation responsable de la musique de la part du public.

Pour l’instant, pas de projets musicaux en vue pour celui qui ne se considère pas comme un chanteur, mais plutôt comme « quelqu’un qui chante ». En attendant, il travaille avec le groupe Salebarbes pour aider à la mise en spectacle de son premier album. « Le travail a commencé avec deux jours de pêche dans un chalet ! J’aime beaucoup jouer le troisième œil comme ça, me mettre au-dessus de l’épaule d’un créateur. Ça me sort de mon univers », dit celui qui a déjà travaillé comme « metteur en spectacle » auprès de Martin Léon et qui joue aussi le rôle de lecteur auprès de David Goudreault.

Un film en attente

Après Babine et Ésimésac, un troisième film pourrait être tiré d’un spectacle de Fred Pellerin. Cette fois, c’est L’arracheuse de temps qui passerait au grand écran. « On attend une réponse pour le financement début décembre. Si ça marche, j’ai le goût d’être sur le plateau un peu plus, peut-être de me mêler de la musique un peu. » Le film, réalisé par Francis Leclerc, serait tourné à l’automne 2020.

Appellation d’origine caxtonnienne

« Avec deux amies, Christine Ouellet et Isabelle Héroux, on a profité d’une somme importante de 5 à 7 et d’apéros pour créer l’appellation contrôlée FOC, pour “fabrication d’origine caxtonnienne”, afin de mettre en valeur les produits locaux. On peut certifier FOC des produits bruts, des produits transformés, des œuvres d’art et des services. À Saint-Élie, on a un potier qui fait des choses hallucinantes, on a Josée qui fait des gâteaux débiles. On encourage ces gens-là. Rocker, un gars de Saint-Élie, qui pellette ta galerie, c’est aussi un service FOC. Tu as une valeur ajoutée : il y a un jasage et beaucoup d’humour. »

Une dizaine de produits et services sont certifiés FOC et d’autres pourraient suivre bientôt. Un autre village, Saint-Camille, dans les Cantons-de-l’Est, a rejoint le mouvement FOC, pour promouvoir la fabrication d’origine camilienne.

« J’adore, ça. Pour moi, c’est à côté de l’arbre à Paparmanes. C’est un jeu sur le réel. Tu n’es pas dans une création pure, tu es dans quelque chose qui vient déjouer le cours des jours un peu… »

La fin d’un partenariat

Le torchon brûle à Saint-Élie-de-Caxton entre le conteur et la municipalité, si bien que Fred Pellerin a décidé de se retirer de tous les projets qui l’associaient de près ou de loin au conseil municipal dirigé par le maire Robert Gauthier. C’est donc la fin des audioguides auxquels Fred Pellerin prêtait sa voix. Terminé aussi le projet de salle de spectacle qui exigeait un dézonage. « Ma relation avec la municipalité, c’est terminé. Pour toujours. Je sais qu’il a été question que j’avais perdu mes élections… Je n’ai pas voté, je n’ai pas cabalé, je n’étais pas au pays. Je reconnais la démocratie, mais ce n’est pas parce que quelqu’un a été élu qu’on lui donne toute la corde et tous les pouvoirs pour quatre ans. On a le droit de ne pas être d’accord. 

« Je vais continuer à m’impliquer à Saint-Élie, en raccord avec mes convictions. Ça va se faire auprès des enfants, dans la culture, dans le sport. Moi, je veux vivre à Saint-Élie-de-Caxton toute ma vie : j’ai ma terre à bois, j’ai des amis, des voisins. Je ne peux pas lâcher ça. 

« Actuellement, la vie au village est morose, mais la communauté est forte. Ce n’est pas une ville divisée. On a réduit ce qui se passe à une guerre de personnalité, mais le problème est plus large que Fred contre monsieur le maire. »

Un village en trois dés
Fred Pellerin
Sarrazine Éditions
178 pages

IMAGE FOURNIE PAR SARRAZINE ÉDITIONS

Un village en trois dés, de Fred Pellerin