Avec Blanc Résine, Audrée Wilhelmy érige sa propre mythologie et trace la genèse de son élan romanesque à travers la figure de Daã, femme-forêt, celle de Laure, « mâle lactescent », et l’histoire de leur union improbable.

Ce roman, « il fallait absolument que je l’écrive », affirme Audrée Wilhelmy, rencontrée dans un café du Plateau par un petit matin pluvieux où elle est arrivée, grande et élancée, jupe longue détrempée et cheveux en nattes.

Il y a en effet dans Blanc Résine un souffle qui ne peut être comprimé, un gonflement qui déborde, comme la crue des eaux. Car si ce roman l’a habitée longtemps, il s’est écrit très rapidement, lors d’une résidence d’écriture à Banff.

J’ai écrit de 8 à 14 heures par jour, pendant 42 jours, sans prendre une seule journée de congé. C’était extrêmement envahissant et vidant, une expérience d’écriture totale.

Audrée Wilhelmy

« Je ne suis pas certaine que je referais ça bientôt ! », lance celle qui avoue avoir « tellement pleuré » durant l’écriture du roman.

S’il offre une filiation avec ses autres opus, ce quatrième roman occupe pourtant une place à part dans son œuvre, remarque-t-elle. « C’est le premier roman que j’écris qui n’est pas parti d’un conte ou d’un mythe existants. C’est un peu comme si j’avais généré mon propre univers », dit celle qui s’est notamment inspirée du conte de Barbe bleue (Les sangs) ou de celui du Petit Chaperon rouge (Oss) pour mieux les pervertir.

Lignée romanesque

« Dans Le corps des bêtes, la question de la généalogie et de la filiation est présente et m’occupait vraiment beaucoup. J’avais envie de remonter aux origines de cette lignée-là, mais d’une façon où il n’y aurait pas vraiment les moyens de remonter plus loin », explique l’autrice publiée chez Leméac et qui a vu ses récits bien accueillis tant ici qu’en France.

S’ils peuvent se lire seuls, tous les livres d’Audrée Wilhelmy ont entre eux des passages souterrains. Le plus évident est incarné dans le personnage de Noé, apparue dans Oss et qu’on retrouve dans Le corps des bêtes.

Avec Blanc Résine, c’est la genèse de ce personnage, et de tout cet univers particulier qu’elle porte en elle, que Wilhelmy déploie. « Ce sont des femmes qui ont un rapport particulier à la nature et au réel, des femmes défiantes. J’ai voulu comprendre d’où tout ça émergeait. »

Et c’est à travers le personnage plus grand que nature de Daã, mère de Noé, que cet univers est mis au monde. Née dans un couvent, de la matrice de 24 sœurs, elle est la genèse ultime de cette lignée romanesque, avec son « grand-père aux bras bleus [dont les] humeurs déterminent la forme des nuages » et de Nunak, sa « grand-mère aux flancs verts, aux côtes montagneuses, à la chevelure ondoyante, liquide ».

« Je nais. Je perce les entrailles d’un couvent. Elles sont vingt-quatre sœurs qui poussent, qui brament, leurs voix saillent des murs, se mêlent aux ramages des orfraies, des freux, aux abois, caquets et feulement. La forêt grouille d’animaux qui vêlent. Il fait nuit de taïga, de lune ronde, basse, nuit pareille aux deux bouts : douze heures noires, douze heures blanches. »

PHOTO AUDRÉE WILHELMY

Un des autoportraits en forêt pris par Audrée Wilhelmy durant l’écriture de son quatrième roman.

Ainsi se lit l’incipit de Blanc Résine, titre-oxymore qui réfère notamment aux deux personnages centraux du récit, Daã Volkha dite ma résine, femme-forêt au corps tavelé de marques et de taches, et Laure Hekiel dit Oopik, homme albinos, « mâle lactescent », né au cœur d’une mine de charbon et destiné à devenir médecin par son père mineur.

Le roman raconte la naissance et l’union de ces deux êtres dissemblables au fin fond de la taïga, là où le train s’arrête pour se ravitailler en charbon à la mine Kohle Co. et où se dresse le couvent, jusqu’à la Cité, où Laure poursuivra ses études, en passant par le village de Kangoq, où ils s’établiront et où le ventre de Daã grossira par trois fois.

Une histoire d’amour particulière, entre deux êtres en marge, qui ont des rapports diamétralement opposés avec leurs différences : l’une l’embrasse complètement, l’autre rêve de se fondre à la foule.

Nature-mère

Personnage énigmatique, voire insaisissable, Daã est pourtant « le personnage qui me ressemble le plus que j’ai écrit, qui a été très évident à trouver », assure la romancière, qui s’adonne aussi à l’art de la photographie et de l’autoportrait.

« Son rapport à la nature est très près de mon rapport à l’écriture ; elle nomme les choses, procède par le langage à une humanisation des plantes. Elle a ce côté foisonnant, elle est composée de tellement de choses que ça déborde. »

Mon sommeil porte la souvenance de mes états fougère, arbre, lichen, roche, fourmis, abeille, anguille, oiselle, poissonne, hase, renarde, orignale, atik, tmakwa, graine d’ourse et louve polaire, louve grise, fille de bateau, de pays bridés ou très noirs […]

Extrait de Blanc Résine

Cette nature, Wilhelmy, qui a lu sur la botanique et a même suivi une formation en herboristerie en amont de l’écriture du livre, la nomme avec force, voire acharnement, utilisant une pléthore d’énumérations et d’accumulations de mots archaïques empruntés aux langues des Premières Nations d’ici et d’ailleurs. Langages inuktituk, wendat, abénaquis, irlandais, gallois, russe s’y croisent, ainsi que plusieurs références aux mythologies grecque, basque, gaélique…

C’est ainsi qu’Audrée Wilhelmy en arrive à construire sa propre mythologie romanesque. Une lecture qui peut être « lourde », convient-elle, qui « demande un abandon » de la part du lecteur, mais qu’elle assume complètement. « C’est un désir de construire un monde hors de nous, d’être dans ce lieu du “il était une fois” du conte. C’est pour ça qu’il y a cette fusion de langues qui est pour Daã complètement intuitive. Mon but était de lui donner une toute-puissance, qui passait par un savoir universel des langues de la nature. C’est à la fois un débordement et un envahissement. »

IMAGE FOURNIE PAR LEMÉAC

Blanc Résine, Audrée Wilhelmy, Leméac, 352 pages

Blanc Résine

Audrée Wilhelmy

Leméac

352 pages