C’est l’histoire d’une passion amoureuse que raconte la Canadienne Elizabeth Smart dans son livre À la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j’ai pleuré. Le récit de sa liaison interdite avec le poète George Barker, marié et père de famille. À sa sortie en 1945, le livre a fait scandale. C’est devenu un texte culte, une « ode à la démesure au féminin ». Justin Laramée en a confié la lecture à Magalie Lépine-Blondeau.

Lorsque Justin Laramée a imaginé une création autour du livre d’Elizabeth Smart, œuvre à la fois poétique et passionnée, il a tout de suite pensé à son amie Magalie. Les deux comédiens se sont connus au Conservatoire d’art dramatique de Montréal il y a presque 20 ans. Leur amitié dure depuis.

« Dans la préface du livre de Smart, on précise que c’est un texte qui a été fait pour la scène et qui doit être lu à haute voix, souligne Laramée, qui est également auteur et metteur en scène. Le choix de Magalie s’est tout de suite imposé pour incarner cette liberté et cette force-là. »

C’est la première fois que les deux amis travaillent ensemble. « Je suis gênée de dire que je n’avais jamais entendu parler du livre quand Justin m’a parlé de ce projet, précise Magalie Lépine-Blondeau. Je pense que je ne suis pas la seule, et c’est étonnant parce que c’est un chef-d’œuvre. Je dirais même qu’il y a presque une mythologie autour de la vie d’Elizabeth Smart. Sa vie fascine. »

Une histoire de passion

La relation entre Smart, issue de la bourgeoisie d’Ottawa, et Barker, poète britannique, a duré plusieurs décennies. Les amants ont eu quatre enfants que Smart a élevés seule, car le poète n’a jamais voulu quitter sa femme. Magalie Lépine-Blondeau souligne le courage de l’écrivaine, qui ne s’est jamais posée en victime durant toutes ces années.

« Cette femme était totalement en opposition avec son époque, souligne la comédienne. Et en même temps, elle était totalement prisonnière de cette époque-là. Encore aujourd’hui, ce serait subversif d’avoir une aventure sur plusieurs décennies et plusieurs continents et d’avoir des enfants avec un homme qui est déjà en couple et qui a plusieurs enfants. Mais elle l’a assumé jusqu’au bout. Dès le départ, elle savait la souffrance qui l’attendait, mais elle a marché vers son destin. »

Dans la mise en lecture imaginée par Justin Laramée, Magalie Lépine-Blondeau se promènera d’un lutrin à l’autre et sera accompagnée sur scène par le pianiste Laurier Rajotte.

« Au départ, précise Justin Laramée, je voulais mélanger dans le même spectacle les poèmes de Barker, le livre de Smart ainsi que des éléments de sa biographie, pour voir ce qui pourrait se passer. Avec le temps, j’ai réalisé que c’était un texte sur la puissance féminine et sur une forme de liberté. J’en suis arrivé à la conclusion que c’était peut-être plus important de laisser la parole à Smart seule. J’ai eu envie de mettre son œuvre à elle en avant. »

Une traduction magnifique

Si Magalie Lépine-Blondeau a accepté de plonger dans ce projet, c’est aussi pour la beauté de la langue d’Elizabeth Smart. 

Sa plume est bouleversante. Ce texte est une déchirure. Ça tombe sous le sens de monter ça dans le cadre du FIL, car toute la puissance et la douleur amoureuse passent à travers les mots. Ses phrases sont denses, chaque chapitre a un rythme différent, une signature.

Magalie Lépine-Blondeau

By Grand Central Station I Sat Down and Wept a été traduit une première fois chez Flammarion en 1994, mais c’est la traduction d’Hélène Filion aux Herbes rouges, en 2003, qui a fait date. La traductrice, qui est aussi la maman du comédien Alexis Martin, sera d’ailleurs dans la salle lors d’une des deux représentations. « Le travail de traduction est phénoménal, souligne Justin Laramée. Le français sied à ce texte d’une manière extraordinaire. »

« J’oublie que ça n’a pas été écrit en français, renchérit Magalie Lépine-Blondeau. La langue de Smart a une manière toute naturelle de se déposer en français. Et Justin m’a encouragée à dire les mots de Smart dans une langue qui est la nôtre, avec un accent et un niveau de langue qui se rapprochent de notre langue parlée. Il y a énormément de poésie, mais on voulait aussi que ce soit concret, que les racines soient bien plantées dans la terre. »

Une vie hors norme

Le destin d’Elizabeth Smart peut paraître tragique. En effet, après la publication d’À la hauteur de Grand Central… – dont sa mère a tenté par tous les moyens d’empêcher la diffusion en achetant pratiquement toutes les copies disponibles –, l’écrivaine n’a publié que des traités de jardinage et quelques recueils de poésie. 

« Elle n’a jamais été amère, remarque Justin Laramée. Elle a reconnu que ce qu’elle vivait était difficile, mais elle disait : "C’est si beau ce que j’ai vécu et mes enfants sont si beaux." Ce récit est vraiment d’une grande puissance. »

Le livre a connu une renaissance dans les années 90, et Magalie Lépine-Blondeau est convaincue que l’histoire demeure toujours aussi forte, près de 75 ans après sa publication. Et que cette histoire de passion et de liberté saura toucher tous les publics, les plus vieux comme les jeunes à la recherche d’absolu.

« Au moment où elle trouve le recueil de George Barker, en 1933, Elizabeth Smart se dit : “Je vais le marier, cet homme-là.” Dès qu’elle le lit, elle sait qu’il sera l’homme de sa vie. Cette histoire est très dramatique, mais ce n’est pas un mélodrame, c’est de l’ordre de la tragédie. »

À la Cinquième Salle de la Place des Arts les 23 et 24 septembre, dans le cadre du Festival international de la littérature