« Je ne suis pas malade, je suis mourant.- Oui, mais tu es malade.- Je suis malade d'être mourant. »

Il faut parfois peu de mots pour dire précisément tout ce qu'il faut. Et Tommy Orange enchaîne les passages de la sorte dans ce premier roman qui va droit au ventre. « Elle hurlerait ce qu'elle pense si les pensées pouvaient se hurler. »

Dur, violent et saprément vivant, Ici n'est plus ici se déroule là-bas. À Oakland. Où une galerie de personnages se prépare à un grand pow-wow. Certains s'apprêtent à y danser et à célébrer leur culture. D'autres, à semer la pagaille. La menace gronde. Et le passé ne cesse de se manifester. Les injustices, les blessures, les espoirs sans cesse écrasés. En milieu de parcours, la citation de circonstances du penseur et poète James Baldwin indique : « Les gens sont emmurés dans l'Histoire, et l'Histoire est emmurée en eux. »

Au fil des pages qui défilent, Tommy Orange en insère des parcelles, de l'Histoire. L'occupation de l'île d'Alcatraz par des militants des Premières Nations en 1969-1971. Le tremblement de terre en Californie de 1989. Chaque chapitre est consacré à un point de vue, un personnage. Présenté tantôt à la première personne du singulier, tantôt à la troisième. Avec une introduction et un entracte au « nous ». « Nous sommes des Indiens et des Indigènes américains, Indiens-Américains et Indiens natifs d'Amérique du Nord, Indiens des Premières Nations et Indiens tellement indiens que soit on pense chaque jour à cet état de fait, soit on n'y pense jamais. »

Une voix pour tant de voix

D'ailleurs, au je, l'écrivain cheyenne et arapaho arrive à faire parler toute une série de protagonistes différents. Sans jamais que cela sonne faux. Une jeune fille de « presque douze ans » qui trouve le réconfort auprès de son ourson en peluche. Un petit-fils attentionné atteint du syndrome d'alcoolisme foetal, qui traîne avec des types peu recommandables. Un ado accro à l'internet qui cherche le père qu'il n'a jamais connu.

On rencontre également un ex-déserteur de la guerre du Viêtnam travaillant comme concierge dans un stade de baseball. C'est d'ailleurs là, dans ce lieu de rassemblement grouillant, que culminera le récit. Dans une tragédie. Annoncée en milieu de parcours. Au coeur d'un passage accordé au futur.

Justement, l'avenir. Il est salement orageux pour ces êtres marqués. Et la plume de l'auteur rend rigoureusement cette rage à peine contenue, cette tristesse sourde, ce quotidien rugueux. Et cette parole, poétique et précise. « Tu es indien parce que tu es indien parce que tu es indien. »

Finaliste au prix Pulitzer, Ici n'est plus ici explore également l'idée de maison, du chez-soi que l'on fuit, que l'on n'a pas, que l'on s'est fait voler.

Toujours par le truchement d'images qui hantent. La bipolarité, par exemple, « c'est comme avoir une dent contre les dents d'une tronçonneuse dont on a besoin pour couper le bois et se réchauffer au milieu d'une forêt sombre et froide d'où on finit par comprendre qu'on ne ressortira jamais ».

On en ressort secoué.

★★★★

Ici n'est plus ici. Tommy Orange. Albin Michel. 352 pages.