(Nancy) « Comment combattre le silence ? On le combat avec l’écriture qui est une autre forme de silence », explique le discret écrivain franco-argentin Santiago H. Amigorena dont le roman Le ghetto intérieur est en lice pour les plus prestigieux prix français (Goncourt, Renaudot et Médicis).

Depuis une vingtaine d’années, l’écrivain et cinéaste a bâti une singulière entreprise littéraire qui raconte de façon décousue l’histoire de sa vie.

Puissant et déchirant, Le ghetto intérieur, son 10e livre, publié comme les neuf précédents chez P. O. L, participe de cette entreprise en racontant l’histoire de son grand-père, Vicente Rosenberg, juif polonais émigré en Argentine en 1928 avec l’espoir de tirer un trait sur l’antisémitisme gangrénant une partie de la société polonaise.

Gustawa, la mère de Vicente est restée à Varsovie. Quand les nazis envahissent la Pologne en 1940, Vicente pressent le pire.

Des lettres de Gustawa, toujours plus désespérées, lui parviennent du ghetto. Écrasé par la culpabilité, impuissant face à la tragédie qui s’abat sur sa famille, Vicente s’enfonce dans le silence, délaissant sa femme et ses enfants (dont la future mère de Santiago Amigorena), jusqu’à devenir le fantôme de sa propre vie.

« C’est l’histoire d’un Juif à Buenos Aires recevant des nouvelles de Varsovie et qui s’enfonce dans le silence en découvrant la Shoah et la réalité de ce qui se passe en Europe », résume de sa voix douce Santiago H. Amigorena rencontré par l’AFP à Nancy où il a reçu le convoité prix des libraires de cette ville.

« C’est l’histoire d’un personnage qui affronte une situation, doit trouver une solution et la trouve dans le silence qui est la pire solution », poursuit l’écrivain.

L’histoire de Vicente est vraie. Gustawa a bien écrit des lettres à son fils avant d’être assassinée à Treblinka. Mais l’écrivain revendique le choix d’avoir inscrit le mot « roman » sur son texte.

« De tous les livres que j’ai écrits, c’est le livre qui devrait le plus s’appeler roman », insiste-t-il.

« C’est assez étrange, concède-t-il, car ce livre repose sur des lettres de mon arrière-grand-mère et la vie de mon grand-père ».

Être « plus que vrai »

Mais, ajoute l’écrivain, « une aspiration pour moi dans l’écriture, ce n’est pas d’écrire exactement ce que serait la réalité historique, c’est d’être “plus que vrai”, que ce qui est écrit aille au-delà de la réalité ».

Les lettres de Gustawa reproduites dans le livre ne sont pas exactement conformes aux lettres originales de son aïeule.

« Dans une des lettres, rappelle l’écrivain, elle dit que les nazis “tuant sans raison” les Juifs du ghetto ont “des regards tristes comme les nôtres” ». « Cette phrase n’est dans aucune de ses lettres ». « Mais, se justifie-t-il, c’est le rapport entre le passé et le présent qui apporte cette réalité-là. Le passé n’existe que par ce qu’on est là aujourd’hui et qu’on en parle ».

« Je voulais écrire sur mon grand-père, sur le silence de mon grand-père », développe l’écrivain qui a beaucoup écrit sur son propre silence.

Ses premiers livres ont des titres explicites : Une enfance laconique, Une jeunesse aphone, Une adolescence taciturne

« Ce que j’ai hérité de mon grand-père, c’est quelque chose que je dois travailler par l’écriture », soutient le romancier.

Le livre est également l’occasion de s’interroger sur la longue cécité des Alliés face à la destruction des Juifs d’Europe par les nazis.

« La manière dont n’a pas voulu savoir ce qui se passait en Europe n’est pas propre à la Shoah », répond l’écrivain. « On n’a pas voulu savoir en Argentine qu’il y a eu des disparus pendant la dictature », dit l’écrivain, âgé de 57 ans, obligé de quitter son pays en 1973 avec ses parents pour fuir la violence politique.

Dans le livre il écrit : « J’ai dû quitter mon pays, ma langue maternelle, et mes amis. Comme mon grand-père, j’ai trahi : je n’ai pas été là où j’aurais dû être ».