Inspirée par Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, de Dany Laferrière, Naomi Fontaine écrit à son amie d’enfance, Julie. Qui se dit Shuni en innu. Julie s’apprête à visiter la communauté de l’écrivaine. « Pour aider. » Mais attends. Avant d’arriver, écoute. « Promets-moi de m’écouter. »

C’est après la parution de son deuxième roman, Manikanetish, en 2017, que Naomi Fontaine a senti que quelque chose était en train de changer. Tous ces collégiens et étudiants, captivés par le récit de son expérience en tant qu’enseignante de français dans une réserve innue de la Côte-Nord. Par sa culture. « J’avais l’impression que tout à coup, les Premières Nations pouvaient exister. Dans les écoles. Dans la littérature. Ce fut ma révélation. Je me suis rendu compte que les gens étaient ouverts, beaucoup plus ouverts qu’avant. Et qu’ils avaient envie de comprendre. »

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE L’ÉDITEUR

Shuni, de Naomi Fontaine

C’est un peu en réponse à cette envie qu’elle a écrit Shuni. Car si Manikanetish racontait, ce roman-ci explique. L’amour, la maternité, le territoire, sa communauté.

Sa Shuni comme son lecteur, Naomi Fontaine veut les guider. Leur dire que, bien plus que ce « résilient » qui est souvent utilisé pour le qualifier, son peuple est résistant. RÉSISTANT en majuscules à toutes les horreurs trop souvent occultées de l’histoire.

Elle souhaite ainsi leur parler des Innus, les présenter, au-delà des statistiques.

« Nous [les Innus] avons été longtemps analysés, sans que jamais personne ne se donne la peine de nous connaître. »

— Naomi Fontaine

Au fil des pages, elle apprend au lecteur à le faire. À connaître les individus de Uashat. Le mot individu est important. Car certes, Naomi écrit au nous. Mais ce nous n’est pas uniforme. D’abord, rappelle-t-elle, les Premières Nations sont plurielles. Et puis les membres de son peuple le sont aussi. « Je déteste les idées préconçues selon lesquelles nous sommes tous pareils. Les jeunes et les vieux, à la peau pâle ou foncée, gros ou minces, les beaux, les laids. Ceux qui rient fort et ceux qui ne rient pas. »

Elle sourit quand elle parle de son garçon, Marcorel, présence lumineuse dans ce livre. Un bonhomme aux répliques magnifiques, qui la reprend ce jour où elle lance à la blague, avec plein d’affection : « Regardez-le le petit Indien, il va pêcher plein de poissons. » Sa ligne à la main, au bord de la rivière, il lui répond : « Maman, arrête. Je ne suis pas un Indien. Je suis un Innu. »

Petite victoire

Dans cette déclaration superbe de son fils, Naomi Fontaine décèle de l’espoir, une petite victoire.

« Il y a quelque chose de miraculeux dans cette manière de se voir. C’est incroyable, le pas que mon peuple a fait en 20 ans. Ma mère a grandi, c’est elle-même qui le dit, dans la honte d’être Innue. Après, moi, ç’a été mon combat, comprendre que ma culture, c’est la meilleure que je puisse avoir pour moi-même. »

— Naomi Fontaine

Un combat. Puisque, encore une fois, revenaient les foutues statistiques mentionnées plus haut. « Parce que je suis une Innue, je suis censée avoir tant de pourcentage de risques de faire une tentative de suicide. Parce que je suis Innue, je suis censée avoir tant de pourcentage de risques d’être victime de violence. Parce que je suis Innue, je suis censée ne pas avoir mon secondaire cinq. D’être autant étudiés, ça devient extrêmement lourd. Fatigant. »

Dans le même ordre d’idées, quand ses élèves, à Uashat, lui ont lancé : « Ah, madame ! On est Innus, donc on est poches en français ! », elle a été troublée. « Mais où est-ce que vous avez pris ça ? Qui vous a fait croire ça ? Je ne veux plus jamais entendre ça dans ma classe. »

C’est pour briser de telles présomptions injustement collées, pour montrer la réalité, celle de ceux qu’elle connaît, qu’elle écrit, entre autres, à Shuni. En notant « qu’il faudra du temps, de l’espace, de la connaissance pour se libérer » de ce mur de préjugés.

Un temps pendant lequel Naomi continuera d’écrire, d’enseigner, de créer. Des œuvres comme des ponts. L’adaptation cinématographique de son premier livre, Kuessipan, réalisée par Myriam Verreault, sera bientôt projetée au Festival du film de Toronto (TIFF). Grand événement. Et avec ce nouveau roman, publié chez Mémoire d’encrier, elle espère inspirer ses lecteurs à visiter sa communauté. À la découvrir. À écouter. « C’est ce que je dis à Shuni : je suis contente que tu viennes chez moi. Je suis ouverte. Mais il y a des choses qu’il faut que tu comprennes, des choses qu’il faut que tu saches. C’est un peu comme un guide, des conseils, pour ceux qui souhaitent s’ouvrir à ma culture. »

Un livre comme une invitation.