La dernière fois qu’on a parlé de la bédéiste Axelle Lenoir, elle s’appelait encore Michel Falardeau. Son changement de nom n’est pas une coquetterie d’artiste : entre la publication du dernier tome de L’esprit du camp et du premier de Si on était, elle a décidé d’affirmer sa transidentité.

Plus jeune, Axelle Lenoir passait parfois pour un jock, c’est-à-dire un gars sportif pas trop versé dans les choses intellectuelles. Elle performait sur les terrains, c’est vrai, et excellait au basketball. Repenser au fait qu’elle pouvait être perçue comme un gars aussi stéréotypé la fait rigoler aujourd’hui. Axelle Lenoir, au fond, s’est toujours sentie plutôt comme une fille.

Ce n’était pas un sentiment clair, mais un malaise dans son corps et son identité de gars. Elle le savait sans vraiment le savoir quand elle a commencé à publier des bandes dessinées souvent axées sur des adolescentes aux personnalités fortes. Comme sa Lydia de Mertownville, qui fréquente une école pour devenir « justicière » — ou superhéroïne, si vous préférez.

« Je me suis rendu compte, dans Mertownville, que ce que je ne pouvais pas vivre dans la vraie vie, je le vivais à travers des personnages. Inconsciemment, c’était une manière de compenser », explique la bédéiste. Axelle Lenoir ne va toutefois pas jusqu’à dire qu’elle vivait par procuration à travers les filles cool, futées et souvent drôles qu’elle a mises en scène jusqu’ici.

Son attrait pour les univers entre enfance et adolescence tient un peu à sa transidentité (« J’ai un peu arrêté de vivre à 12 ans », dit-elle), mais aussi au fait qu’elle n’avait pas envie de devenir adulte, ce qu’elle associe visiblement à une vie un peu plate. « J’ai un gros côté ado », admet-elle, avant de préciser être aussi « responsable » et « très à son affaire ». « Je suis une ado très mature ! », résume-t-elle avec un large sourire.

« Faire une différence »

IMAGE FOURNIE PAR FRONT FROID

Si on était..., tome 1, d’Axelle Lenoir

Sa transition, la bédéiste l’a d’abord révélée publiquement dans une entrevue avec Curium, magazine pour ados où paraît chaque mois un épisode de sa série Si on était... Ces courtes histoires suivent deux filles de 17 ans, Nathalie et Marie, qui trompent l’ennui en jouant à un très drôle de jeu de rôles : s’inventer des vies. Un jour, elles s’imaginent Vikings ; le lendemain, elles se projettent dans un manga ou dans Harry Potter…

« Je me suis rendu compte que, depuis des années, aussitôt que je m’emmerde, je lance à mes amis des affaires comme : admettons qu’on est des astronautes… Et si on est en auto, c’est ça pendant trois heures », raconte Axelle Lenoir, pour expliquer l’origine de Si on était. Sous forme de bédé, son petit jeu est franchement désopilant.

Chacune de ces aventures — maintenant rassemblées dans un premier album que l’auteure a bonifié d’une foule de drôleries — est une boîte à surprises. « À la base, c’était très gadget : je sortais un thème et je les projetais là-dedans. Ça a changé rapidement parce que c’était juste de la narration au-dessus des cases et je trouvais ça limitant, explique la bédéiste. Là, je suis partie dans des romances, des vies [plus étoffées], et ça va continuer. »

« J’ai l’impression que les gens arrêtent d’être ados alors qu’ils ne le devraient pas. C’est mal vu de se laisser aller en tant qu’adulte, de faire des choses qui sortent de l’ordinaire. »

Nathalie est blasée et faussement au-dessus de ses affaires. Son amie Marie est pimpante et spontanée. « J’ai l’impression que ce sont des bédés qui peuvent faire une différence pour les jeunes, dit Axelle Lenoir. Pas en sauvant des vies ni rien, mais en leur montrant des filles normales et intelligentes. Des modèles qui ne correspondent pas aux clichés.

“Je vois de plus en plus de jeunes filles venir acheter L’esprit du camp parce qu’elles ont lu Si on était... dans Curium. Je vois des filles du secondaire en couple avec les yeux qui brillent. C’est probablement l’une des seules bédés auxquelles elles peuvent s’identifier, et ça, ça me fait vraiment plaisir”, révèle l’auteure, parlant de ses œuvres où il y a des filles qui aiment les filles.

L’art de surprendre

Axelle Lenoir ose parler de modèles lorsqu’il s’agit de ses personnages, mais n’a pas envie d’en devenir un, elle. “Je suis game d’être un modèle, mais pour moi, ça veut dire continuer de faire de la bédé et serrer des mains dans les festivals”, dit-elle. Pas question de devenir une figure de la transidentité. Sa vie publique, c’est sa vie de bédéiste.

Les deux se mélangeront encore dans ses cases, par contre : elle prépare une bédé sur sa transition. “Je ne parle pas vraiment de moi, mais je replonge quand même beaucoup dans mes souvenirs. C’est une autofiction, précise-t-elle. Ça va être un projet à très, très long terme.”

Sa série Si on était... se poursuit dans Curium. L’esprit du camp paraîtra en anglais l’an prochain. Elle ne manque ni de projets ni d’idées et entend continuer de se consacrer à des scénarios surprenants. “Une histoire, qu’elle soit pour adultes ou pour enfants, je trouve ça d’un ennui si je vois tout venir !”, s’exclame la bédéiste. Axelle Lenoir n’est plus l’athlète qu’elle était, mais elle a encore l’esprit sportif. Ses lecteurs, elle veut les gagner.

Si on était... sera en librairie le 29 mai.