Certains bédéistes se cantonneront toute leur carrière durant dans un seul style particulier : le western, le fantastique, l’historique… Régis Loisel n’est de toute évidence pas fait de ce bois-là.

Le plus québécois des bédéistes français — il a vécu 18 ans à Montréal, mais vient tout juste de s’installer en Touraine pour se rapprocher de ses petits-enfants — lance cette semaine au Québec une nouvelle série qu’il a scénarisée et qui tranche fortement avec ce qu’on connaît de lui. Le titre, déjà, est frappant : Un putain de salopard.

« C’est un scénario que je gardais dans mes tiroirs depuis 30 ans et que j’ai partagé avec le dessinateur Olivier Pont, explique Régis Loisel, rencontré dans un café du Plateau Mont-Royal. C’est une histoire très réaliste avec une toute, toute petite touche de fantastique. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Le bédéiste Régis Loisel lance une nouvelle série baptisée Un putain de salopard

L’action se déroule en pleine jungle au Brésil, en 1972, quand un jeune voyageur tombe sur deux infirmières. Rapidement, ils nouent des liens et le lecteur découvrira vite que le jeune voyageur, étourdi et naïf, revient en fait sur les lieux où il a grandi, plongé dans une quête identitaire troublante à la suite de la mort soudaine de sa mère. Or, le « putain de salopard » n’est pas forcément celui qu’on croit. Des salopards, les infirmières en croiseront d’ailleurs aussi un certain nombre…

Rien à voir avec la série d’heroic fantasy qui a fait connaître Régis Loisel dans les années 80 et qui se poursuit aujourd’hui sous les pinceaux d’autres dessinateurs, La quête de l’oiseau du temps. Aucun parallèle non plus avec le sombre Peter Pan, inspiré du classique de J.M. Barrie. Et bien peu de parenté avec Le grand mort, la fable écologique sur fond fantastique que Loisel vient tout juste de terminer à titre de scénariste.

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Extrait de la série Un putain de salopard

« Un putain de salopard est davantage dans la veine de Magasin général par son réalisme, sauf que ce dernier se déroulait au Québec dans les années 20 », explique celui qui a aussi signé en 2016 un album consacré… à Mickey Mouse.

« Mickey, c’était un rêve de gosse qui se réalisait, dit-il. Je ne me limite pas à des thèmes précis, mais par contre, je sais que je ne dessinerais jamais un album contemporain. Les bagnoles et tout, ça m’emmerderait. J’aime travailler sur l’ambiance d’un récit, pas sur l’exactitude historique des dessins. »

Un dessinateur qui se fait désirer

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Extrait de la série Un putain de salopard

Est-ce que le dessin en lui-même serait en train de lasser ce créateur à la signature graphique si particulière ? La question se pose. Si on exclut l’album sur Mickey Mouse, le dernier titre dessiné exclusivement par Régis Loisel est l’ultime album de la série Peter Pan, sorti en 2004. Depuis ce temps, il a codessiné avec Jean-Louis Tripp la magnifique série Magasin général, écoulée à plus de 1 million d’exemplaires. Pour le reste, il s’est attribué le seul rôle de scénariste.

« Je travaille trop comme scénariste pour les autres et je n’ai pas assez de temps pour dessiner. Et mes lecteurs m’attendent comme dessinateur. » — Régis Loisel

Heureusement, il a dans ses cartons un projet qu’il endossera à la fois comme scénariste et comme dessinateur, auquel il compte s’attaquer cette année. « C’est une histoire onirique où l’on suivra un petit garçon et une petite fille au cours de leur vie respective. Le tout se déroulera dans un univers un peu baroque, qui rappellera la mer d’Aral, aujourd’hui desséchée. » Cette histoire, il l’imagine comme une série, même si, à l’âge de 67 ans, « il mesure le temps qu’il [lui] reste ».

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Extrait de la série Un putain de salopard

« Pour une série, je compte entre sept et dix ans de travail. Parallèlement, je continue la scénarisation d’Un putain de salopard, qui devrait s’étendre sur trois ou quatre albums, ainsi que de La quête de l’oiseau du temps, dont le 10e album doit sortir cette année. Aujourd’hui, tout ce qui compte pour moi est d’avoir du plaisir ! »

Notre critique 

Ce premier album de la série Un putain de salopard, Isabel, se distingue par les dessins et ambiances superbes d’Olivier Pont, une coloration riche et chatoyante du Québécois François Lapierre (un collaborateur de longue date de Régis Loisel), mais surtout par ses personnages attachants. On se désole d’ailleurs, en tournant la dernière page, de devoir attendre des mois pour découvrir la suite. Loisel sait assurément comment créer une bonne histoire et ce scénario n’y fait pas exception. Cet album ponctué de séquences fortes nous accroche vite, et on en redemande une fois qu’on en sort. 

— Mathieu Thériault, journaliste stagiaire de L’Itinéraire