Dominique Demers lance L’albatros et la mésange, un roman qu’elle destine autant aux ados qu’aux adultes. Plus de 25 ans après la trilogie des Marie-Lune, l’autrice renoue avec plusieurs thèmes (amours adolescentes, relations parent-enfant, nature et spiritualité), traités avec une sensibilité tout actuelle. Dominique Demers a reçu La Presse dans son appartement montréalais, alors que les premiers bourgeons venaient d’éclore.

Dans votre site internet, vous dites : « J’ai traversé plus d’une journée difficile en sachant qu’un roman m’attendait sur ma table de chevet. » Aujourd’hui, dans l’autobus, les gens ne lisent plus, ils consultent leur téléphone. Le soir, ils se retrouvent aussi avec leur téléphone s’ils n’ont pas appris à aimer lire ?

Totalement. Je donne des conférences sur le bonheur de lire et comment le propager. Comment lire pour emmieuter le monde. Tant qu’on n’aura pas créé une société de lecteurs, on va être limités. On pense à Trump, et ça changerait beaucoup de choses si on était davantage une société de lecteurs. Ça fait 30 ans que je travaille dans le domaine, et je donne de plus en plus de conférences à ce sujet. Mais c’est clair qu’on ne fait pas tout ce qui est en notre pouvoir pour créer cette société de lecteurs. Quand je commence là-dessus… C’est vraiment un thème qui me porte beaucoup parce que, pour moi, lire est la plus grande assurance bonheur.

Votre nouveau roman met en scène des adolescents de 17 ans, mais vous le proposez autant aux jeunes qu’aux adultes ?

Oui. Parmi les livres qui m’ont le plus marquée dans ma vie, parmi les plus beaux que j’ai lus, il y a beaucoup de livres « young adult ». Ces livres ado-adultes, ce sont de bons livres pour faire découvrir le bonheur de lire à ceux qui ne l’ont pas découvert et qui sont adultes.

Ils sont aussi bons pour les autres : la lecture est une passion et, à un moment donné, le feu s’éteint un peu. On est pris par le quotidien. Lire est un effort. C’est normal : c’est un code, il faut le décoder. Quand on est super fatigué, c’est plus facile d’ouvrir le téléviseur ou d’appuyer sur Netflix. Il faut vraiment être nourri par des livres qui nous enchantent. Et je pense que la littérature pour adolescents a davantage une capacité d’enchantement.

Vos deux personnages principaux, Mélodie et Jean-Baptiste, ont leurs difficultés et leurs questionnements, mais il y a beaucoup de lumière dans L’albatros et la mésange.

La lumière vient de la nature. C’est ma clé à moi.

C’est vrai, alors que ce roman est très urbain…

Oui, mais il y a toujours la nature en toile de fond. Parce que moi, c’est comme ça que je me réenchante. Avec la littérature et la nature.

Et avec le sport, comme pour Mélodie, qui aime courir tôt le matin ?

Le sport, c’est mon hygiène de vie, mon bonbon. Je suis surtout une nageuse, alors c’est en piscine — ou en lac, l’été. Je m’entraîne aussi dans les marches du mont Royal, comme Mélodie. S’entraîner, c’est une chose, mais s’entraîner dans la nature… Voir des oiseaux, des arbres, des animaux, des plantes, le roc, tout ça m’émeut beaucoup.

Ce contact avec la nature manque parfois autant aux enfants d’aujourd’hui que la lecture ?

Totalement. Je suis née à la campagne. Quand je suis arrivée à Montréal à 17 ans, j’ai réalisé qu’il y avait des enfants qui grandissaient, qui devenaient des adultes et qui mourraient sans avoir jamais vu ni un lever ni un coucher de soleil. Ça me catastrophait. Parce que je trouve que c’est vraiment dans le contact avec la nature qu’on trouve notre place dans l’univers. Ce que dit Jean-Baptiste, c’est très proche de moi.

C’est sûr qu’on ne peut pas s’empêcher de se poser des questions sur qui nous sommes. Que ça nous mène à croire en Dieu ou pas, ce n’est pas grave. Ça nous amène à une leçon d’humilité, à comprendre notre petitesse et notre grandeur. Je suis vraiment persuadée, comme Jean-Baptiste, comme tous ceux qu’il cite, que si l’humain continue de s’imaginer au sommet d’une pyramide, il ne pourra jamais s’épanouir. C’est ce qui crée notre perte.

Vous mettez en scène une famille très catholique, alors que la religion est un sujet peu traité en littérature adolescente.

PHOTO FOURNIE PAR ROY & TURNER COMMUNICATIONS

L’albatros et la mésange, de Dominique Demers

Dans ma thèse de doctorat, je disais que le tabou le plus fort en littérature jeunesse actuelle, c’était la religion et la spiritualité. C’était il y a 25 ans. Ça reste. Aujourd’hui, les catholiques sont anachroniques. On n’en parle jamais. Ça peut pourtant être un outil pour comprendre les autres religions.

C’est pour cela que vous avez choisi une famille catholique plutôt que musulmane, par exemple ?

J’étais fascinée. Je sais que ça existe, il y en a autour de moi. Je suis à la fois très respectueuse, parfois séduite – parce que quelqu’un de très croyant, qui vit une vie de bonté et de bienveillance, c’est très touchant. En même temps, les dogmes que ça représente, avec les prises de position de l’Église, c’est très inquiétant.

L’albatros et la mésange contient une scène de viol qu’on pourrait qualifier de « nuancée ».

Une scène de viol ou de « peut-être viol ». C’est un type de scène qui est peu souvent décrite dans les romans pour adolescents, parce qu’on aime que ce soit très polarisé. C’est soit une histoire d’amour formidable, avec des lendemains pas toujours heureux. Ou encore c’est forcé et c’est un désastre. Tandis que là, c’est entre le consentement et le non-consentement. Cette zone grise qui fait dire à certains « c’est un viol » et à d’autres « ce n’est pas un viol ».

La réponse n’est pas importante. L’important, c’est la souffrance de la personne et l’irrespect de l’autre. Ça, c’est condamnable, quel que soit le mot. 

Vous avez commencé L’albatros et la mésange il y a longtemps ?

Deux ans. C’est peut-être le livre que j’ai trouvé le plus difficile à écrire, à cause du storytelling. Il y a beaucoup de sujets : la religion, la peine d’amour, la surdouance, l’étologie… Souvent, les gens vont dire : ça doit s’écrire facilement parce qu’on le lit facilement.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dominique, grande sportive, Dominique et son chien, Dominique et ses amis et Dominique s’imagine, textes de Dominique Demers et illustrations de Boum

À la première version, j’étais dans le pur bonheur, j’avoue. Mais après, le retravail ! Il faut vraiment que je rende hommage à ma fille (NDLR : Marie Demers), qui a été mon éditrice. Elle m’a poussée à mes limites, et j’ai besoin de ça, dans le sport comme en écriture.

Dans mon cas, pousser dans mes limites, ce n’est pas avoir un vocabulaire jusqu’à la fin du monde. C’est la poésie dans l’histoire racontée. Je suis une conteuse, je suis en émerveillement devant les humains et leur histoire. J’aime la raconter, et il faut que l’écriture se fasse oublier. En même temps — et je ne dis pas que je l’atteins —, l’écriture doit aussi nous faire vivre des moments de grâce.

Les propos de Dominique Demers ont été édités en raison de l’espace limité.

Petite Dominique

Dominique Demers redevient une enfant dans cette série de quatre miniromans pour nouveaux lecteurs. Dans Dominique s’imagine, son alter ego dit : « Si j’étais un géant, je cueillerais des étoiles pour les déposer là où il fait noir. » Inattendue, la chute est rigolote dans chacun des livres. Mignon.

Dominique, grande sportive, Dominique et son chien, Dominique et ses amis et Dominique s’imagine. Textes de Dominique Demers et illustrations de Boum. Éditions Fonfon. Dès 6 ans.