L’écrivain Gilles Jobidon est seulement le deuxième Québécois en 18 ans à remporter le Prix des cinq continents de la francophonie, qu’il a reçu il y a un peu plus d’un mois pour son roman Le Tranquille affligé. Rencontre avec un écrivain tranquille.

Comme sa prédécesseure Jocelyne Saucier, qui a remporté ce prix prestigieux en 2011 pour Il pleuvait des oiseaux, Gilles Jobidon est un auteur discret, peu connu du grand public, mais au parcours exemplaire.

« À 69 ans, après 15 ans de carrière, je vois ce prix comme une grande récompense pour tout le travail que j’ai fait. Je ne l’attribue pas seulement à ce livre-là, mais à tous les autres que j’ai écrits », dit Gilles Jobidon, qui estime tout de même que « 15 ans dans le milieu des arts, ce n’est pas long ».

« Je suis un très jeune écrivain. Je ne me considère pas comme quelqu’un d’arrivé. »

Avant de se lancer en littérature alors qu’il avait déjà la cinquantaine entamée, Gilles Jobidon, qui a étudié en arts visuels et en histoire de l’art, œuvrait dans les musées et les galeries comme metteur en espace.

J’ai fait plus de 200 montages d’expos. C’est très relié à mon écriture, qui est de mettre en valeur des mots et une histoire, comme d’une certaine façon je le faisais avec les objets pour les rendre intéressants et passionnants.

Gilles Jobidon

En 2003, il a publié un premier roman, La route des petits matins, qui lui a valu trois prix, dont le Robert-Cliche et le Ringuet de l’Académie des lettres du Québec. Mais Gilles Jobidon a continué ensuite sa carrière dans un relatif anonymat, hors de l’œil des médias et du grand public. D’ailleurs, ne trouve-t-il pas ironique qu’on s’intéresse à lui après qu’il a remporté un important prix international ?

« Pas du tout. Il y a 10 ans peut-être, ça aurait été le cas ! Moi aussi, j’ai cherché la gloire. Mais je prends les choses comme elles viennent, très humblement, comme un cadeau de la vie », dit l’écrivain, qui ajoute n’avoir jamais été déçu par ce métier qu’il a choisi sur le tard, mais souvent par la réception et « le cirque ».

Minimalisme

Le Tranquille affligé, qui se déroule vers 1860, raconte l’histoire d’un jésuite défroqué, Jacques Trévier, membre de l’entourage de l’empereur chinois Mu Xi. Cet esthète solitaire part en expédition à Baël, île située dans la mer d’Oman, avec comme mission de revenir avec la recette de la teinture du noir parfait. Note : toute ressemblance avec des événements ou des personnes ayant déjà existé est fortuite, puisque tout est inventé dans ce faux livre historique.

« Trévier est l’amalgame de plusieurs jésuites ayant vécu en Chine. Mu Xi n’existe pas. Baël non plus. Et la problématique du livre est très contemporaine, je parle de tractations, de pillage de technologie, de pollution… », explique Gilles Jobidon.

Mais là ou un autre auteur serait arrivé avec une saga de 450 pages, pleine de descriptions et de dialogues, Le Tranquille affligé est un concentré de 165 pages, un exercice minimaliste brillant porté par une écriture ciselée à la légèreté amusée.

PHOTO TIRÉE DE L’INTERNET

Le Tranquille affligé. Gilles Jobidon, Leméac, 165 pages

« J’ai toujours dit que je n’aime pas les livres épais ! Je gratte jusqu’à l’os, une page finie peut avoir été dix pages au début. Je travaille par soustraction, comme un sculpteur qui a son gros bloc de marbre et qui sent qu’il y a quelque chose derrière. »

Et le minimalisme n’empêche ni les images fortes ni les péripéties : il y a clairement un film dans Le Tranquille affligé. « Il y a un film dans tous mes livres », répond l’auteur, qui confirme avoir été contacté par un producteur pour porter celui-ci à l’écran.

Gilles Jobidon aime le dépouillement et l’art oriental, et s’inspire d’auteurs qui travaillent dans le même sens : Duras, Quignard, Énard, Hébert, Baricco.

« En réduisant, je travaille sur la musicalité de la langue. Et aller à l’essentiel permet de laisser la part belle à l’intelligence du lecteur, ça lui donne le temps et l’espace pour relier les points. »

Dans la mine

Écrivain tranquille, Gilles Jobidon est né à Limoilou, vit sur la Rive-Sud de Montréal, passe quatre mois par année en Gaspésie et voyage beaucoup. « C’est souvent quand je suis à l’extérieur que j’écris », dit celui qui cherche le sacré dans l’art et qui a l’impression d’être dans « une tour d’ivoire à l’envers ».

« Comme si la tour plongeait dans une mine avec de l’encre dedans, et que je pellette jusqu’à ce que je trouve un filon. Je suis amoureux fou de cette langue. Toute cette musique qu’on peut apprêter en faisant de la prose poétique narrative comme ça… Parce que dans le fond, ce n’est rien, un mot. »

Le Prix des cinq continents, très reconnu en Europe et en Afrique, permettra à Gilles Jobidon de voyager beaucoup avec son livre sous le bras au cours des prochaines années. « Déjà, mon printemps est très chargé », dit-il, à la fois heureux et un peu inquiet à l’idée de ce qui s’en vient.

J’ai parlé à Jocelyne Saucier, elle m’a raconté qu’elle n’avait pas pu écrire pendant trois ans après avoir reçu le prix. Elle a été très gentille, elle m’a dit que je pouvais l’appeler n’importe quand. Elle aurait aimé avoir quelqu’un qui l’aurait aidée comme ça à l’époque.

Gilles Jobidon

Le Niger, Bruxelles, New York, Saint-Malo, la Roumanie, probablement le Viêtnam, les destinations se bousculent déjà, et il est particulièrement heureux à l’idée de rencontrer des lecteurs partout dans le monde.

« C’est sûr que ça va nourrir mon écriture », dit Gilles Jobidon, qui espère que la disette d’écriture ne durera pas plus d’un an.

« J’ai déjà quelques projets en chantier, de carnet et de roman. Mais j’avoue que depuis deux ou trois semaines, il ne se passe pas grand-chose, avec les téléphones, les courriels… Si j’avais reçu ce prix à 35 ans, j’aurais eu la grosse tête ! Là, non. Ça me fait chaud au cœur, c’est un baume, un stimulant, mais en même temps, je sais que ça va passer et que je vais me retrouver à pelleter de l’encre encore et encore. »

Le Tranquille affligé. Gilles Jobidon, Leméac, 165 pages