À l’heure où le film Les Misérables suscite un véritable débat de société en France (le réalisateur Ladj Ly aborde la situation explosive des banlieues parisiennes), et alors qu’on souligne le premier anniversaire du mouvement des « Gilets jaunes », on peut dire que le roman de Sofia Aouine s’inscrit tout à fait dans l’air du temps. Dans Rhapsodie des oubliés, qui vient de remporter le Prix de Flore, cette reporter radio donne, elle aussi, la parole à ceux qu’on entend rarement.


On est dans le 18arrondissement. Pas en haut dans le Montmartre bobo de la rue des Abbesses, mais plutôt en bas, entre les stations Barbès, Château Rouge et Marcadet, autour du square Léon, dans ce qu’on appelle aussi le quartier de la Goutte-d’Or. « Ça craint », pour reprendre une expression populaire.

Le héros imaginé par Aouine est un ado de 13 ans, Abad, qui a quitté son Liban natal avec ses parents pour venir s’installer dans ce quartier dur et pauvre qui accueille les réfugiés et les immigrants au statut précaire. Abad, c’est un clin d’œil à l’Antoine Doinel de Truffaut ou au Momo de La vie devant soi d’Émile Ajar. Il est brillant et pose sur la vie un regard à la fois allumé et goguenard. Entre les promoteurs d’un islamisme radical — l’autrice les a rebaptisés les Barbapapas — et « les putes » qui font le trottoir, Abad vit tant bien que mal sa vie d’ado qui se résume principalement à se masturber en reluquant un groupe de Femen qui a installé son QG en face de l’appartement familial.

Mais derrière ses allures de petit dur, il y a un enfant au grand cœur qui s’ennuie de sa grand-mère. Ses parents, trop occupés à survivre, n’ont pratiquement pas de temps à lui consacrer. Heureusement, trois femmes bienveillantes veillent sur lui : une prostituée camerounaise du nom de Gervaise (clin d’œil à Zola) qui rêve de retrouver sa fille restée au Cameroun ; Odette, la voisine, archiviste retraitée qui a passé sa carrière à la Maison de la radio et qui fait l’éducation culturelle du gamin ; et enfin Ida, la psychologue, un personnage en hommage à Françoise Dolto qui a croisé le chemin de l’autrice lorsqu’elle était jeune.

En entrevue dans la presse française, Sofia Aouine a raconté ses premières années passées sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance (l’équivalent de notre DPJ), un lourd passé qui l’a visiblement inspirée pour écrire ce premier roman. Elle nous dépeint un Paris bien loin des boutiques chics de la rue du Faubourg Saint-Honoré et des bars à vin branchés du 11arrondissement.

Rhapsodie des oubliés parle de l’importance de nos racines, de la dureté de la rue, du récit qu’on se construit à propos de notre propre vie. L’écriture d’Aouine est colorée, rythmée, parfois violente. Il y a des images fortes et quelques clichés, mais dans l’ensemble, ce premier roman est très réussi et annonce une nouvelle voix très prometteuse.

★★★

Rhapsodie des oubliés, de Sofia Aouine. Éditions de la Martinière, 208 pages.