Quelques suggestions de bandes dessinées à découvrir.

Notre choix : splendeurs et mystères autour de Tom Thomson

L’illustratrice et bédéiste française avait fait un album remarquable sur la vie du pianiste Glenn Gould (Une vie à contretemps). Sandrine Revel s’intéresse cette fois au peintre canadien Tom Thomson, mort à 40 ans dans des circonstances nébuleuses dans le parc Algonquin (en Ontario). L’hommage de Revel est une œuvre d’art en soi, l’artiste illustrant ses cases « à la manière de » Tom Thomson, tout en narrant son histoire.

Une histoire fascinante, qui fait des sauts dans le temps. D’abord à l’été 1917, au moment de sa mort, puis 40 ans plus tard, à l’automne 1956, tandis que deux hommes effectuent des recherches pour retrouver sa tombe. Thomson, qui s’est mis à la peinture tardivement, vers l’âge de 28 ans, était réputé pour ses paysages aux couleurs vives, peints dans un style expressionniste qui tranchait avec le réalisme de son époque. Quand il découvre le parc provincial Algonquin, en 1912, il décide de s’y installer, devenant même guide forestier.

Sandrine Revel raconte l’essentiel de son parcours et de ses fréquentations en s’appuyant sur plusieurs ouvrages de référence, dont le récit de William T. Little Une excursion de dessin au dénouement bizarre. Ce dénouement fait référence à sa noyade présumée, son corps ayant été repêché du lac Canoe. Mais tout va à l’encontre de cette théorie. La bédéiste expose les différents scénarios évoqués pour expliquer sa mort soudaine, à l’âge de 40 ans, quelques mois avant son mariage.

Il faut saluer la qualité de ce scénario de type biopic, mais avec un rythme haletant, et un survol plein de tendresse de l’œuvre de celui que l’on considère comme l’âme du Groupe des Sept, mouvement artistique des années 20 reconnu pour ses représentations spontanées de la nature et des paysages du pays. Une très chouette incursion dans la vie de cet artiste peu connu au Québec. On se demande qui sera le prochain Canadien à naître sous la plume de Sandrine Revel.

★★★★

Tom Thomson – Esquisses d’un printemps, Sandrine Revel, Dargaud, 144 pages

Dis, Shiatsung, je peux sortir d’ici ?

IMAGE FOURNIE PAR MÉCANIQUE GÉNÉRALE

Le projet Shiatsung, de Brigitte Archambault

Très belle découverte que ce Projet Shiatsung, premier album de l’artiste visuelle Brigitte Archambault, qui nous projette dans le monde solitaire d’une jeune femme sans nom, vivant dans une maison sans issue avec, pour seule présence, un écran. Nous sommes vraisemblablement dans une maison de banlieue, entourée de palissades infranchissables. L’auteure nous raconte comment cette fillette a été élevée par cet écran baptisé Shiatsung, qui fait son éducation, la divertit, lui fournit des repas, jette les ordures, etc. En vieillissant, la jeune fille souffre de cette solitude et rêve d’entrer en contact avec son voisin, qu’elle devine de l’autre côté de son bungalow. Elle qui commence aussi à avoir des fantasmes sexuels. Mais Shiatsung, qui n’est pas sans rappeler Siri, surveille de près la jeune fille, grâce à toutes les données dont il dispose, sans parler des drones munis de caméras qui sillonnent la propriété et qui l’attaquent quand elle s’aventure trop loin. Ce récit dystopique et anxiogène traduit parfaitement la relation pernicieuse que nous entretenons avec nos écrans, qui nous isolent comme jamais auparavant. Un ouvrage fort bien scénarisé, aux lignes très droites, qui nous donne une seule envie : sortir dehors !

★★★½

Le projet Shiatsung, Brigitte Archambault, Mécanique générale, 208 pages

Les débuts de Charlot

IMAGE FOURNIE PAR RUE DE SÈVRES

Chaplin en Amérique, de Laurent Seksik et David François

Il y a de ces personnages plus grands que nature dont on ne se lasse pas d’entendre parler. Charlie Chaplin en fait partie. On a beau avoir tout dit et tout écrit sur lui, cet homme exerce sur nous – et manifestement sur Laurent Seksik et David François – une fascination insatiable. Dans ce premier tome d’un triptyque, le duo français s’intéresse à l’arrivée de Chaplin en Amérique en 1910. Un récit sans complaisance, qui fait le portrait d’un artiste déterminé et sûr de lui, voire par moments arrogant et même un tantinet misogyne. On le retrouve dans ses premiers films tournés pendant la guerre, ainsi qu’avec sa première femme. Un album qui se distingue par les traits vifs et aériens des dessins, même si les personnages ne sont pas très ressemblants. Il y a une belle fantaisie qui est en soi un bel hommage à Charlot.

★★★½

Chaplin en Amérique, Laurent Seksik et David François, Rue de Sèvres, 72 pages

Pas facile, la vie d’artiste, quand t’es pas star

IMAGE FOURNIE PAR MÉCANIQUE GÉNÉRALE

Wendy, de Walter Scott

La populaire série du bédéiste natif de Kahnawake nous arrive enfin en français – grâce à une traduction de Catherine Brunet. Wendy, créée en 2014, est une étudiante en arts visuels de 20 ans qui fréquente les quartiers artsy du Mile End et de Saint-Henri. La jeune femme charismatique et talentueuse est facilement distraite par les hommes et l’alcool, qu’elle ne « hold » pas toujours très bien. Voilà un archétype qu’on ne voit pas souvent ! Elle est spontanée, sans compromis, compétitive, immature et en recherche constante d’attention. Walter Scott s’amuse ferme avec ce personnage parfois trash, mais en même temps attachant, qui fera une résidence d’artiste en Europe avec plus ou moins de succès. On imagine bien une série télé avec cette Wendy très moderne et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, dont les aventures sont scénarisées avec talent et humour. Le dessin minimaliste a quelque chose de la bédé d’avant-garde, avec ses trous noirs à la place des yeux ou de la bouche quand il y a incompréhension, surprise ou déception. Walter Scott met la dernière touche au troisième tome, en espérant qu’on aura la suite à peu près en même temps que les « Anglish ».

★★★½

Wendy, Walter Scott, Mécanique générale, 216 pages