Une bulle, une pause, un moment hors du temps. Dominique Fortier et Rafaële Germain ont confectionné un herbier littéraire dans lequel elles ont consigné des instants magiques volés au quotidien. Une lecture absolument réconfortante en ce début de saison froide.

Elles ne se connaissaient que de nom. Aujourd’hui, Dominique Fortier termine les phrases de Rafaële Germain et vice versa. Leur admiration mutuelle s’est transformée en amitié au terme d’un exercice d’écriture qui est sans aucun doute un des livres les plus doux de l’automne.

« On s’est connues par livres interposés, lance Dominique Fortier. J’ai lu Un présent infini et ça m’a jetée à terre. C’est un livre que j’ai prêté, donné, et qui m’habite encore. Alors j’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait de ma vie : j’ai écrit à une amie éditrice pour lui demander de m’aider à entrer en contact avec Rafaële. »

« Et moi, je m’en allais faire la même démarche auprès de la même personne, ajoute Rafaële Germain. J’avais lu Au péril de la mer et je voulais rencontrer Dominique. »

Autour d’un café, les deux écrivaines ont confirmé leur intuition : elles étaient faites pour s’entendre. Et pour s’écrire. Une idée toute simple est née : chaque jour, coucher sur papier un moment qu’elles aimeraient conserver, un peu comme on tient un cahier de gratitudes.

Arrêter le temps

Pour mémoire est donc une sorte de scrapbook de moments doux : un oiseau qui traverse le ciel au coucher du soleil, un mot d’enfant, un instant tendre avec l’être aimé… Une lecture à la fois belle et apaisante qui se tient loin de l’actualité, des frasques de Donald Trump et du dernier scandale à l’Assemblée nationale. Un espace d’où l’agressivité, la violence et les réseaux sociaux sont exclus.

Il y a un petit côté à contre-courant. Pendant les six mois qu’on a écrit, du début du printemps au début de l’automne, on s’est forcées à s’arrêter une fois par jour et à observer ce qui se passait autour de nous.

Rafaële Germain

« Le fait d’avoir pris le temps d’écrire ces moments les préserve à jamais », ajoute Dominique Fortier.

L’exercice aurait pu être mièvre sous la plume d’écrivaines moins talentueuses. Or, c’est tout le contraire. On est dans la littérature, dans la poésie, même, à mille lieues de l’univers Hallmark ou de ces livres de croissance personnelle qui envahissent les librairies. « On n’est pas des jovialistes, on ne vit pas dans un pays d’arcs-en-ciel ou de licornes », lance Rafaële Germain. « J’avais tellement aimé ce que tu avais dit, renchérit Dominique Fortier. T’en souviens-tu ? Tu avais dit : “Ce livre, ce n’est pas une négation de la dureté du monde, c’est son corollaire.” C’est parce qu’il y a des journées qui sont plates, parce qu’il y a des moments difficiles et des choses insoutenables, parce qu’on a mal qu’on avait besoin d’un livre dont la fondation essaie de dépasser ça. »

Écrire pour les filles

On découvre aussi, en lisant Pour mémoire, que la nature est omniprésente dans l’univers des deux autrices : les arbres, les oiseaux, la mer, la rivière… « Si j’avais écrit un roman, je ne suis pas certaine que ça aurait été une ode à la nature, note Rafaële Germain. Mais le concept du livre ne nous laissait pas le choix, il fallait être dans la durée et la nature fait partie de cela. »

L’autre thème qui s’est imposé, c’est la maternité. Les deux femmes sont mères de fillettes à peu près du même âge, Zaza et Zoé, dont les observations remplies de l’émerveillement de l’enfance ponctuent le livre.

« Ça allait de soi que le livre leur était destiné, affirme Dominique Fortier. Ce n’est pas un hasard si on a fait ce livre à un moment où nos filles sont jeunes, la magie n’est pas tout à fait partie. »

Le mariage parfait

En fin de compte, et c’est un peu une surprise, les plumes de Dominique Fortier et de Rafaële Germain se marient tellement bien qu’on ne sait plus toujours qui écrit. « Nadine Bismuth, qui est ma première lectrice dans tout, m’a dit : “Si la typo n’avait pas été différente, je n’aurais pas pu dire qui écrivait”, confirme Dominique Fortier. Il n’y a pas beaucoup de monde dans le monde dont la voix ressemble tellement à la mienne qu’on pourrait la confondre. Je pense que tu es la seule… »

Ceux et celles qui ont lu ses romans, pensons seulement au magnifique Les villes de papier, savent que Dominique Fortier écrit de manière sublime. Quant à Rafaële Germain, qu’on fréquente davantage du côté de l’humour, elle confirme son immense talent d’écrivaine plus classique, talent qu’on avait découvert dans Un présent infini, livre consacré à son père, Georges-Hébert Germain.

« Je n’avais pas le pied dans cette porte-là, lance Rafaële Germain. C’est comme si Dominique m’avait donné une crédibilité. »

« Tu n’avais pas besoin de moi pour ça », rétorque Dominique Fortier.

Chose certaine, l’expérience les a ravies. Et unies. « On ne se serait pas embarquées là-dedans si on n’avait pas eu l’abandon nécessaire, estime Rafaële Germain. Pour être présent au monde, il faut s’oublier un peu. »

« Ça aurait pu rester deux voix détachées, conclut Dominique Fortier. Mais on a réussi à construire quelque chose avec des pilotis et un toit. Et à la fin, ça a l’air d’une maison. »

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Pour mémoire : Petits miracles et cailloux blancs

Pour mémoire : Petits miracles et cailloux blancs
Dominique Fortier et Rafaële Germain
Alto
176 pages