Après deux romans qui lui ont permis de se hisser parmi les auteurs à suivre de la génération montante, Marie Demers délaisse l’autofiction avec son nouvel opus Leslie & Coco, amorçant nouveau cycle créatif… et une trilogie à déployer.

Jointe à quelques jours du lancement officiel de son troisième roman (pour adultes, car l’autrice s’est aussi fait connaître avec ses romans jeunesse), qui a lieu aujourd’hui, Marie Demers ne cache pas ses doutes et inquiétudes. « Je suis un peu stressée, comme d’habitude ! Je l’ai lu tellement de fois, mon roman, que je le trouve poche, mais bon, c’est normal dans mon processus ! », a-t-elle dit avec son franc-parler habituel.

Car pour Marie Demers, l’écriture passe énormément par… la réécriture. « Je réécris sans arrêt, je fais beaucoup de corrections. À un moment donné, il faut que je m’arrête, car ça ne finirait jamais ! »

Après In Between et Les désordres amoureux, campés dans l’autofiction, Marie Demers avait envie de se mettre un peu en danger en se frottant à un autre style d’écriture.

L’autofiction est devenue un genre confortable où j’arrive, à ma façon, à briller. Là, je suis entrée dans quelque chose de complètement différent. Oui, c’est épeurant !

Marie Demers

Cela dit, il est « dans la suite des choses » pour celle qui aime explorer plusieurs styles et voix narratives à l’intérieur d’un même récit de s’essayer à un nouveau genre littéraire. Et ce roman, Demers le considère comme le début d’un cycle.

« C’est le cycle Leslie et Coco, un vrai cycle que je vois comme une trilogie ; le prochain sera sur Leslie et le suivant, sur Coco… Et ils vont se répondre, d’une certaine façon. Évidemment, je vais le faire si ça pogne, pas juste pour mon nombril ! Car moi, j’écris pour être lue », dit celle pour qui le lecteur « est toujours au centre de ses pensées ».

Roman à deux voix

Leslie & Coco met en scène deux personnages féminins que tout oppose. La première, 18 ans, est maigre, asexuée, a la chevelure rousse ; obsessive, perfectionniste, sauvage, elle se défonce dans ses entraînements en triathlon et ses études en sciences pures dans un cégep de Montréal, où elle vit depuis un an. Blonde, plantureuse, amicale et ouverte, Coco, 17 ans, s’ennuie à Gaspé avec son chum parfait, alors qu’elle termine enfin son secondaire et rêve de quitter son patelin natal.

Bref, tout les sépare, sauf leur amour des livres… et la grande amitié qui les lie depuis le primaire. Et qui fera foi de tout, au cœur de la tempête.

Vivant à des centaines de kilomètres l’une de l’autre, les deux amies s’envoient des lettres dans lesquelles elles échangent sur leur vie, leurs questionnements existentiels ou amoureux, parlent de leurs lectures du moment, le tout parsemé d’apartés rigolos. Un pacte qui les lie de façon intime, à contre-courant en cette ère technologique d’ultra-connectivité – Coco n’a même pas de cellulaire, c’est tout dire !

Comme ce sont des jeunes adultes au sortir de l’adolescence, je ne voulais pas que leurs échanges soient trop « yo ». Les lettres, c’était une stratégie pour avoir un langage un peu plus littéraire.

Marie Demers

« Et moi, j’adore les livres dans les livres, j’ai besoin de parler de littérature. Je me souviens qu’à cet âge, les livres nous rapprochaient beaucoup entre amis », remarque-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR ÉDITIONS HURBUBISE

Leslie & Coco, de Marie Demers

Leslie & Coco a d’abord été un projet à quatre mains avec un autre artiste, d’où cette idée de correspondance épistolaire. Mais la proposition s’est vite essoufflée, raconte Demers. « Je ne suis pas la marquise de Merteuil ! L’épistolaire, ça s’épuise vite et ça peut devenir très factuel, comme un journal intime. En commençant ce projet, je me suis vite rendu compte que je ne pouvais pas le faire de cette manière. Et puis, je suis trop contrôlante ! », admet celle qui travaille également comme éditrice.

Ainsi, si les échanges épistolaires constituent la pierre d’assise du récit, Demers s’amuse à changer les points de vue narratifs en y alternant le narrateur témoin et la narration au « je ». « J’aime sauter d’une narration à l’autre, ça permet d’amener différents regards sur les personnages », explique-t-elle.

« Un moment de transfert »

À travers leurs histoires entrecroisées et la visite que Coco rendra à Leslie à Montréal, Marie Demers en profite pour explorer plusieurs questions. Premières relations amoureuses, consentement et plaisir, questionnement sur l’amour et l’orientation sexuelle, rapport conflictuel avec son corps sont autant de sujets abordés dans Leslie & Coco, dont celui, délicat, de l’anorexie qui ronge Leslie, aux prises avec des troubles obsessifs-compulsifs. « On a tellement une image déformée de son corps parfois, explique l’autrice, qui dit avoir elle-même souffert d’anorexie plus jeune. Développer un TOC, c’est un peu essayer de reprendre le contrôle sur sa vie. »

Un rappel probant, et raconté de façon très prenante dans le roman, qui évite habilement de tomber dans le psychodrame, que cette période de passage au monde adulte ne se fait pas toujours sans heurt, alors que la soif d’exister, de se construire, se heurte à un sentiment de perte, d’invisibilité.

C’est un âge qu’on ne dépeint pas souvent en littérature, ce battement avant le vrai âge adulte, un moment de transfert, ambigu et complexe, où on ne sait pas où est notre place.

Marie Demers

« Il y a ce sentiment d’être invisible, comme si on n’existait pas encore, mais aussi un émerveillement, une intensité…, remarque celle dont la thèse de doctorat s’intéresse justement à la littérature pour jeunes adultes. Il me semble que tous les romans qu’on lit à cet âge résonnent d’une tout autre façon ! »

Et gageons que Leslie & Coco résonnera très fort chez les jeunes adultes qui s’y plongeront.

Leslie & Coco. Marie Demers. Éditions Hurtubise. 242 pages.