On les qualifiait autrefois, avec un peu de mépris, de « romans à l’eau de rose ». Aujourd’hui, les éditeurs parlent de « romance » ou de « new romance ». Les romans d’amour sont encore snobés malgré leur popularité et des ventes qui font verdir d’envie bien des auteurs. De l’érotique à l’historique en passant par le policier ou la fantaisie, tour d’horizon d’un milieu en ébullition.

Mélodie Murray, 28 ans, est éducatrice en service de garde en milieu scolaire à Lévis. Elle est également l’auteure du blogue et de la page Facebook La Passionnée, dans lesquels elle propose des comptes rendus de ses lectures.

Depuis six ans, deux fois l’an, son club de lecture les BBtrices — entre 30 et 60 femmes — se réunit le temps d’un souper. Il n’est pas rare que des auteures et des éditeurs se déplacent pour aller à la rencontre de ces boulimiques de lecture.

« Les éditeurs nous envoient des titres avant leur sortie afin d’avoir notre feedback. Nous sommes un peu comme leur focus group », explique Mélodie, qui peut lire jusqu’à deux livres par jour. « On m’appelle la machine », confie la jeune femme qui possède une collection de plus de 500 titres Harlequin. « La romance a beaucoup évolué avec le temps, ajoute-t-elle. Le style a changé, on trouve moins de stéréotypes qu’avant. C’est plus adapté à notre époque. On aborde même des thématiques comme l’autisme, l’identité de genre, etc. »

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Je t’aime, je te mords

Mais de quoi parle-t-on quand on parle de romance ? En gros, de romans d’amour. Sauf que le genre a éclaté en dizaines de catégories spécialisées qui vont de l’érotique au fantastique, en passant par l’historique, le sadomaso, la romance homosexuelle et même des genres hyper pointus comme les romans de bodyguard (oui, ça existe !) et la littérature de la morsure (bit lit). Ce marché — qui génère des millions de dollars aux États-Unis et en France — est dominé par les femmes qui composent pratiquement 99 % du lectorat et qui représentent la très grande majorité des auteures. Pensez E L James (Cinquante nuances de Grey), Christina Lauren, Colleen Hoover. On dit que plusieurs hommes écrivent de la romance sous pseudonymes féminins, mais quelques signatures masculines se glissent parfois dans le lot, par exemple Stuart Reardon. Ancien joueur de rugby, il a signé Invincible (coécrit avec une auteure expérimentée), qui raconte l’histoire d’amour entre un joueur de rugby blessé et la médecin qui le soigne. À classer dans la catégorie chest lit, ou littérature d’abdos musclés. Sans blague.

Tous ces romans ont un point en commun : ils doivent susciter l’émotion et un certain frisson chez les lectrices. « C’est un genre qui jusqu’à tout récemment était peu développé », explique Pierre Bourdon, directeur général et éditeur chez Hugo & Cie, maison d’édition française fondée en 2005 qui a ouvert un bureau à Montréal en 2016. « Dans le temps de nos mères, on lisait Guy des Cars et Henri Troyat, observe M. Bourdon. Puis un jour, ces livres ont été classés quétaines. »

Dans ce qu’on appelle la new romance — une catégorie dont la paternité revient à Hugues Saint-Vincent, fondateur de Hugo & Cie — , les auteures sont décomplexées. C’est contemporain, moderne. On pense à Sex and the City ou à Gossip Girls.

Pierre Bourdon

Boudée par les librairies

« Après le boom Twilight, les jeunes lectrices cherchaient autre chose et c’est à ce moment qu’on a créé le label Milady Romance, en 2011, raconte Séléna Bernard, responsable, marché et développement Canada, aux éditions Bragelonne. Depuis, on a publié plus de 500 titres en romance mais aussi en “romantica”, un mélange de romance et d’érotisme. Les lectrices avaient vieilli, il fallait leur proposer des thématiques de leur âge, avec une sexualité plus explicite. Le genre a explosé en France. Au Québec, c’est encore en développement. »

Les plateformes numériques d’autoédition comme Wattpad et Fyctia (créée par Hugo & Cie) ainsi que les sites comme Goodreads, qui permettent aux lecteurs de faire partager leur appréciation d’un livre, sont au cœur de la stratégie des éditeurs de romans sentimentaux. C’est là que le succès d’Anna Todd, auteure de la série After, est né. La jeune femme, qui a écrit son roman sur son téléphone cellulaire, a récolté 400 millions de clics sur la plateforme Wattpad, ce qui a attiré l’attention de la maison d’édition Simon & Schuster. La suite fait partie de l’histoire, comme on dit. Son roman, publié en français par Hugo & Cie, est devenu un best-seller mondial.

On est loin de ce type de succès au Québec. « Les gens ne sont pas gênés d’aller voir des comédies romantiques au cinéma, mais on dirait qu’ils sont gênés de lire ce genre de livres, observe Pierre Bourdon. Les grands médias en parlent rarement et les librairies et les bibliothèques tiennent peu de rayons de romance. On vend beaucoup dans les grandes surfaces et les pharmacies. »

Les maisons d’édition rivalisent donc d’imagination pour entretenir le lien avec leur lectorat. « Notre succès repose beaucoup sur les réseaux de lectrices », reconnaît Pierre Bourdon. En France, Hugo & Cie organise depuis trois ans le salon New Romance où il invite auteures et lectrices à se rencontrer. De son côté, Milady a lancé en 2017 le prix Romance qui récompense le titre chouchou des lectrices québécoises. C’est Chloé Duval qui l’a remporté l’an dernier pour son roman À sa rencontre.

« Pour les librairies qui refusent de tenir de la romance, c’est une perte sèche quand on sait que certaines lectrices achètent entre 20 et 30 livres par mois, insiste Séléna Bernard. Je pense que dans tout ça, il y a une part de sexisme à l’endroit des auteures et des lectrices. On les considère comme fleur bleue et on les méprise un peu. »

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Milady a lancé en 2017 le prix Romance qui récompense le titre chouchou des lectrices québécoises. C’est Chloé Duval qui l’a remporté l’an dernier pour son roman À sa rencontre.