Dans ce premier roman d’Élisabeth Benoit — qui est seulement la deuxième plume québécoise publiée à la prestigieuse maison française P.O.L —, le lecteur découvrira rapidement qu’il est invité à un brillant jeu narratif dans lequel il devra laisser tomber ses attentes trop prévisibles. Les revirements, ici, n’ont pas grand-chose à voir avec l’intrigue de ce qui ressemble à un faux polar.

Le premier hameçon est le titre, Suzanne Travolta, ainsi que la quatrième de couverture qui résume de façon succincte le roman de même que notre curiosité : « J’avais pris la feuille et j’avais lu. Suzanne Travolta, 5399 Waverly. Et déjà en lisant ce nom-là, je m’étais dit que quelque chose clochait. »

Nous ne saurons jamais pourquoi Suzanne porte cet étrange nom de famille qui nous fait penser, bien sûr, à John Travolta, la vedette de Saturday Night Fever. Mais on devine que c’est peut-être un pseudo, car ce qui « cloche », en fait, c’est que Suzanne est surveillée par deux détectives qui ont placé des caméras chez elle.

Ils apparaissent dans de courts chapitres qui sont étrangement les plus instructifs sur Suzanne. Elle travaille dans l’informatique. Elle protège farouchement son ordinateur. Elle semble croire aux fantômes. Elle a installé un logiciel espion sur l’ordinateur d’une fille. Elle possède un revolver.

Mais pour le reste, l’histoire tourne autour du suicide de Marie-Josée, la sœur un peu paumée de Laurent, star locale et plutôt provinciale qui lui a toujours fait de l’ombre, lui-même ami avec Ray qui tourne autour de Suzanne, bien qu’il soit déjà en couple. Marie-Josée n’est vue que par le regard des autres, notamment celui de Suzanne, dont le sale caractère renfrogné apporte une touche comique au roman.

Mais Suzanne finit elle-même par être noyée dans les monologues de Ray et de Laurent qui, s’ils nous renseignent un peu plus sur Marie-Josée (de façon totalement subjective), nous éloignent de Suzanne en voulant pourtant l’approcher et la séduire.

« C’est plus fort que moi, j’ai toujours été d’une politesse lamentable, j’ai toujours dit oui oui et hoché la tête avec une politesse lamentable », se désole Suzanne dès le début du roman. « Finalement, j’ai toujours été fascinée par les imbéciles, c’est ce qu’il y a de plus terrible dans cette histoire. » Et elle ne résiste pas aux discours échevelés parfois de Ray et de Laurent, dans les divers bars branchés de Montréal, tous croisés dans les romans de Nelly Arcan, remarque-t-on.

Le rythme de l’écriture d’Élisabeth Benoit s’appuie sur des effets de répétition propres à ceux qui parlent trop et qui chialent trop, une manière peut-être de remplir le vide terrifiant de la mort de Marie-Josée. Elle restera un mystère aussi entier que l’est Suzanne Travolta.

« Toute notre vie, nous vivons sans savoir comment nous allons mourir, mais nous savons qu’à la fin cela se produira, d’une façon ou d’une autre cela se produira, et cette mort fera de nous ce que nous serons pour l’éternité, pour l’éternité nous ne serons plus que ce mort mort de telle ou telle mort. Nous n’avons qu’une idée vague et forcément inexacte du moment et des circonstances de notre mort, rien n’aurait de sens sans cela, avais-je pensé. La seule chose qui compte, c’est que nous ne savons pas. »

Ce pourrait bien être la ligne directrice de ce premier roman redoutable, qui se joue de nous à coups de pièges et nous attire irrésistiblement dans sa toile dangereuse vers une finale qu’il est impossible de voir venir.

★★★★ Suzanne Travolta. Élisabeth Benoit. P.O.L. 252 pages.