Après cinq romans et un essai publiés en dix ans, la Française Sophie Divry était de passage au festival Metropolis bleu, où elle a rencontré pour la première fois ses lecteurs québécois. Une belle occasion de discuter avec cette autrice brillante, qui voit dans le roman un espace de liberté infini et qui craint que l’autofiction ne cause la mort de la littérature.

Sophie Divry n’aime pas les niches. Entre le réalisme de La condition pavillonnaire et la fantaisie de Quand le diable sortit de la salle de bain, elle ne cesse de sortir de ses propres sentiers. Mais cela se fait plus naturellement que par volontarisme.

« Quand j’ai fini un livre, ce qui me motive, car il faut être très motivée pour écrire un livre qui ne manque à personne, c’est d’aller dans un autre univers, une autre forme, une autre esthétique. C’est fatigant, car j’ai parfois l’impression de réapprendre à écrire. Mais je crois comme Perec que la littérature est d’abord un énorme champ de liberté et de création. »

Ce n’est pas pour rien que Sophie Divry a écrit il y a deux ans l’essai Rouvrir le roman, qui plaidait pour que les écrivains sortent de leurs ornières. On le sent, la tradition littéraire française est parfois difficile à porter — ce qui est moins le cas au Québec, admet-elle.

« En France, toute personne qui entre en littérature entre dans un monde de légendes, d’injonctions, de morale. » 

L’autrice essaie d’ailleurs de garder le moins de livres possible chez elle. « Pour ne pas être trop impressionnée par l’héritage ! »

Métaphoriser l’époque

Dans un milieu qu’elle juge fermé à tout débat et incapable de réflexion — « L’appropriation culturelle chez nous, aucun problème, on ne se pose pas de questions, c’est normal et ça reste comme ça, les prix littéraires sont régis à 75 % par des vieux garçons de 60 ans et tout le monde s’en fout » —, Sophie Divry a envie de brasser un peu les choses. Elle l’a fait l’automne dernier avec d’autres amis écrivains, en signant dans le journal Le Monde une tribune où ils interpellaient leurs collègues auteurs.

« Le Monde avait titré ainsi notre texte : ‟Pour décrire une époque monstrueuse, il faut des romans monstrueux », raconte-t-elle. Quand je lis certains de mes contemporains, c’est comme s’ils ne vivaient pas à la même époque que moi. Ils ne paient pas les factures ? Il n’y a pas de pollution ? C’est comme si toutes les contraintes de l’époque étaient suspendues. Dans 100 ans, quand les gens liront les livres écrits aujourd’hui, ils diront : ‟Mais ils étaient où ? » »

En train d’écrire des romans sur la guerre de 14 ou des autofictions, a-t-elle constaté. Ce qui l’agace royalement. « J’en ai contre la mauvaise autofiction, égocentrée et larmoyante. C’est la dictature du fait divers, ce n’est pas de la littérature mais de la confidence, du reality show que vous ne pouvez pas critiquer parce que l’histoire est trop terrible », juge l’autrice.

« On ne peut pas durablement empêcher la littérature de faire de la fiction sans épuiser la littérature. »

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Trois fois la fin du monde, de Sophie Divry

Mais parler de l’époque ne signifie pas la décrire : il faut la cerner, la capter psychiquement, la métaphoriser. « J’aime l’idée de partager une humanité commune avec mes lecteurs. Essayer de comprendre ce qui nous désempare, rassembler ce qui nous semble chaotique et lui donner une forme harmonieuse, même si elle est lourde et désagréable, mais qui dit : voilà, on vit ça. »

Elle le fait même lorsqu’elle croit ne pas le faire. Son plus récent livre sorti l’automne dernier, Trois fois la fin du monde, dans lequel un homme échappe à la prison après une catastrophe et doit survivre seul dans la nature, pourrait être le reflet de la vie post-attentats en France.

« Il y a eu un avant et un après, quelque chose qui rompt qu’on croyait impossible à rompre, et qui nous projette vachement loin du temps d’avant. On sent qu’il y a une fissure. »

Liberté

Forte d’une crédibilité et d’un lectorat qui s’agrandit, Sophie Divry continue son chemin en ne se préoccupant pas trop des prix littéraires. « De toute façon, leur tribunal n’est pas compétent pour moi », juge l’autrice, qui travaille en ce moment sur un livre « plus drôle et sympa », qui lui permettra de se réconcilier avec son propre rapport à l’écriture. « J’ai envie de m’amuser, sinon je ne vais pas survivre. »

Et surtout, la liberté reste sa grande quête : la sienne, celle de la littérature, celle des lecteurs aussi, qui ne peuvent trouver d’espace que dans la narration et la fiction. « Nous sommes tous des conteurs en puissance, on peut tout inventer », dit Sophie Divry, toujours guidée par la recherche à l’extérieur des modes et des courants littéraires.

« Pour trouver il faut ouvrir et pousser les murs. Ne pas répondre à une demande préfabriquée, chercher des mines, des gisements de littérature qu’on n’aurait pas explorés, ou qu’on ne voit pas simplement parce qu’on a des œillères. » C’est ainsi, et seulement ainsi, que le roman continuera de vivre.