Quelles traces laissent les hommes de passage chez une « nomade de l’amour » ? Pour cœurs appauvris – un titre emprunté à une citation de Gaston Bachelard qui disait « qu’il est toujours bienfaisant d’offrir “des images” à un cœur appauvri » – n’est pas un tableau de chasse, plutôt une succession de tableaux inspirés par des moments avec des hommes rencontrés à diverses étapes de la vie, et qui ont laissé quelque chose que Corinne Larochelle transforme en littérature.

Ils sont vieux, ils sont jeunes, ce sont des amants ou des amis, parfois les deux, quelques-uns auraient pu devenir des amoureux, d’autres clairement pas, plusieurs étaient déjà en couple ou mariés, en tout cas, c’est toute une galerie qui dit quelque chose d’intéressant sur, oui, un certain mystère masculin.

Corinne Larochelle, qui nous a offert six recueils de poésie, le roman Le parfum de Janis et les récits Ma nuit est sans épaule, est experte dans cette concision qu’exigent les images fortes.

« Nos corps ne se sont jamais revus, car de la tête aux pieds, ils se refroidissaient. » « D’ici trois jours, il va m’annoncer qu’il ne la quittera pas. Je sais qu’il aura raison. » « Demain, il jettera ma brosse à dents, ma crème pour le visage. Le livre que je lui ai donné, il le revendra. Puis il textera une fille entrevue dans un bar en lui faisant croire qu’il veut l’aimer. »

C’est que, parfois, « le deuil amoureux tissé de non-dits est le plus invisible des deuils », mais, comme le dit une amie (tout ce qu’on peut se dire entre amies !) comparant la narratrice à un cardinal femelle, « tes histoires sont à l’image de ses amours : magnifiques et éphémères ».

Et c’est vrai, tant il n’y a rien de vraiment triste dans ces petites fictions condensées. Pas de règlements de comptes, pas de regrets, pas de rancœur, car ce que l’on ressent en toile de fond est un tel appétit pour la liberté, une si grande curiosité pour tout en général (et pas seulement les amours) que lorsque, dans un petit calepin, la globe-trotteuse écrit en lettres capitales « NE PAS PERDRE MA SOLITUDE », on comprend tout.

★★★ ½ Pour cœurs appauvris. Corinne Larochelle. Le Cheval d’août. 127 pages.