Anick Lemay publie Le gouffre lumineux (Urbania), recueil de chroniques inspirées par les épreuves qu’elle a vécues après un diagnostic de cancer du sein, il y a un an. La comédienne compte réaliser l’été prochain un documentaire sur le parcours d’autres femmes qui ont subi une mastectomie.

Marc Cassivi: Tu as touché une corde sensible avec tes chroniques dans Urbania. Tu as été nommée la personnalité la plus inspirante par les jeunes à la soirée MAMMOUTH. Aujourd’hui, tu publies un premier livre…

Anick Lemay: Au départ, je voulais surtout écrire à mes amies. C’est pour ça que c’est écrit au «tu». J’envoyais mes chroniques et je retournais me coucher. Je n’ai pas senti cet engouement. Mais chez Urbania, on m’a envoyé une centaine de commentaires pour que je comprenne ce qui se passait. C’était en septembre. Je finissais ma chimio et je revenais un peu à la vie. J’ai compris.

Marc Cassivi.: Qu’est-ce qui t’a donné l’idée de cette première chronique?

Anick Lemay: J’étais en panique. Je venais de tirer la plogue sur L’échappée [à TVA] et sur le théâtre. Je savais que des questions allaient finir par être posées. Il n’était pas question d’envoyer un communiqué de presse. J’ai pensé à Urbania, avec qui j’avais collaboré l’année précédente. Je voulais juste écrire un mot pour aviser tout le monde que j’avais le cancer. Mais Rose-Aimée [Automne T. Morin, son éditrice] a décidé de laisser une porte ouverte à ce qu’il y ait d’autres textes.

Marc Cassivi: Est-ce qu’une auteure est née?

Anick Lemay: C’est possible! J’ai cogné à quelques portes dans la vie, pour écrire. J’étais accueillie comme une actrice qui veut écrire. Là, les portes sont ouvertes. Dans mon ordinateur, il y a des tonnes et des tonnes de textes. Je vais pouvoir m’amuser. Là, on m’écoute. On veut bien me lire. Tout à coup, on se dit que j’écris pas pire.

Marc Cassivi: Tu as voulu annoncer ta maladie publiquement, tu ne voulais pas que ce soit impersonnel. Y a-t-il des inconvénients à ça?

Anick Lemay: Ben oui! Ce que j’aime, c’est que tout est là dans le livre. Les gens savent à quoi s’attendre: opération, chimio, radio et l’après tout ça. J’aurais aimé lire ça avant de faire tout ce chemin. Ça démystifie l’affaire.

«Il y a des gens qui ont appris qu’ils avaient le cancer en même temps que moi et qui ont cheminé avec moi en lisant mes chroniques. Mais le négatif, c’est que des fois, j’ai un peu l’impression d’avoir revêtu une aura. Les gens me voient comme une rescapée…»

Marc Cassivi: On te définit par ta maladie?

Anick Lemay: Un peu, oui. L’inspiration, c’est beau – et les jeunes qui m’ont donné le prix MAMMOUTH, c’est malade! –, mais la madame à l’épicerie qui me voit comme Jésus qui revient des morts, j’ai plus de difficulté avec ça. Je ne suis pas du tout là-dedans. Je ne suis pas morte! C’est un feeling étrange de recevoir ça, même si je sais que c’est beau et que c’est doux, dans le fond. Je suis aussi devenue un peu une porte-parole du cancer, par inadvertance. Ce n’est pas ce que je veux. Je ne veux pas faire de conférences avec mon livre.

Marc Cassivi: Ça vient aussi avec ta notoriété. Tu en parles dans ton livre, d’être dans la salle d’attente ou dans le corridor de l’hôpital et d’être épiée par les gens parce qu’ils t’ont vue à la télé…

Anick Lemay: Tout le monde qui est là est malade, mais parce que j’ai cette face-là et que j’écris des chroniques, tout à coup, on rentre dans ma vie. Tu le sais. Parce que tu fais de la télévision, les gens ont l’impression de te connaître.

IMAGE FOURNIE PAR URBANIA

Le gouffre lumineux d’Anick Lemay

Marc Cassivi: Mais tu es plus vulnérable, dans un moment où ça ne te tente pas d’échanger avec des inconnus…

Anick Lemay: Oui. Mais les gens sont fins! C’est juste lourd d’être le porte-étendard de quelque chose qui ne te définit pas. Mais c’est presque fini, j’espère!

Marc Cassivi: Tu recommences à tourner dans L’échappée?

Anick Lemay: Oui! J’ai un peu le trac. C’est bizarre. J’ai rarement arrêté de travailler. Je connais mes textes, mais j’ai un petit stress! Je reviens de loin. Je ne m’étendrai pas là-dessus, mais il y a quelque chose d’un chemin de Compostelle dans le cancer. T’es pognée toute seule avec toi-même. Tu ne peux pas te sauver. Tu es dans l’introspection. Je ne dis pas que c’est le fun d’avoir le cancer! Mais ça m’a permis de faire du ménage et de m’occuper de moi. J’ai l’habitude de m’autoflageller. J’ai un peu plus de compassion pour ma propre personne.

Marc Cassivi: Tu as déjà dit que le cancer t’a permis de faire le ménage, notamment dans ton entourage, pour te défaire de gens qui ont une influence négative. Ça n’a pas dû être facile…

Anick Lemay: Ça s’est fait assez drastiquement. Tu sais, les gros coups de tonnerre, l’été, quand il fait chaud? C’était comme ça. Il y en a qui ont pris le bord. Des gens qui tirent trop de jus. Il n’y avait pas de zone de gris possible. C’était oui ou non. Si c’est non, tu prends la porte et tu ne reviens plus. Je n’ai plus de temps ni d’énergie pour ceux qui ne sont pas là pour moi.

Marc Cassivi: Un an plus tard, est-ce que ça a changé?

Anick Lemay: Non. Ils ne me manquent pas [rires]!

Marc Cassivi: Quand tu as dit à Tout le monde en parle qu’il n’y avait plus de «bullshit», que la vie est trop courte pour endurer ce qui ne nous fait pas de bien, j’ai repensé au sketch de RBO qui se moquait de toi au Bye Bye [en 2007]. Avais-tu envie de dire ce que tu en avais pensé à Guy A.? Est-ce que ça crée du ressentiment?

Anick Lemay: Tellement pas! Au contraire. Ils ont parodié la pub d’Uniprix. J’étais tout énervée parce qu’on parlait de moi au Bye Bye! Marc Labrèche t’a déjà imité? Moi, deux fois! J’ai adoré ça!

Marc Cassivi: Moi aussi, deux fois! C’est vrai que ça fait un velours.

Anick Lemay: Il faut avoir de l’autodérision. Et je ne suis vraiment pas rancunière. Quand je parlais de «bullshit», c’était de façon générale. Il y en a quand même beaucoup dans «le milieu», même s’il y en a de moins en moins pour les actrices. Pour moi, ça ne passe plus. Ça se sent, les gens qui sont manipulateurs. Qui ont l’habitude de travailler ou d’être comme ça. Ils doivent sentir la victime potentielle. Mais je ne veux plus être aimée à tout prix maintenant. Ça aura pris le cancer pour comprendre ça, me dit mon psy [rires]!

Marc Cassivi: Qu’est-ce qui a fait que les gens ont été si touchés par ton récit, à ton avis? Des récits semblables, il y en a plusieurs…

Anick Lemay: Je ne le sais pas, franchement. Il y a un an jour pour jour, j’ai eu peur de mourir. Que ce livre existe aujourd’hui, c’est un peu un mystère. Clairement, il s’est passé quelque chose. Ça me faisait du bien d’écrire, de créer, sans faire une thérapie par l’écriture. Je passe mes journées à créer. Mais si je n’avais pas eu de contrat, je n’aurais pas dit à tout le monde que j’étais malade. Je serais allée me cacher au chalet.

Marc Cassivi: Tu aurais préféré ça?

Anick Lemay: C’est sûr! Je ne pouvais pas disparaître de la circulation sans raison. Alors j’ai eu envie d’en parler, mais dans mes mots à moi. J’ai une amie qui me dit que c’est une façon de garder un certain contrôle sur ma vie et elle a raison.

«Ça m’a forcée aussi à voir le beau dans tout ça, à aller à la rencontre des autres. J’ai rencontré des gens formidables. Quand tu as peur pour ta vie, ça crée des liens.»

Marc Cassivi: Aujourd’hui, tu vas bien?

Anick Lemay: Je dors encore beaucoup, mais je ne fais plus de sieste l’après-midi. Je ne suis plus une grand-mère! Ça va bien. Dans ma tête, je ne suis plus malade. Je ne veux pas être naïve: c’est sûr que je pense à la récidive. Mais avec tout ce que j’ai fait, j’ai 30 % de risque de récidive. La moitié des gens qui n’ont jamais eu de cancer en auront un dans leur vie. En matière de probabilités, j’essaie de me rassurer!

Marc Cassivi: Tout le monde connaît un proche qui a eu un cancer…

Anick Lemay: Tout le monde a son histoire. Et souvent, une histoire qui finit très mal. Les gens ne se rendent pas compte de ça, parfois. Pourquoi vous me racontez ça? Je ne suis pas le confessionnal du cancer! Mais je pense que ça va se tasser. Je me donne un an. Je vais recommencer à jouer des personnages. Ce ne sera plus Anick qui a eu le cancer. Et je vais passer à autre chose.

Le gouffre lumineux. Anick Lemay. Urbania, 120 pages.