Retenez bien ce nom: Philippe Lançon. Critique littéraire au quotidien Libération, chroniqueur à Charlie Hebdo, le journaliste a survécu à l'attentat du 7 janvier 2015 à Paris. Dans ce récit d'une rare intensité porté par une écriture magnifique, il raconte sa lente reconstruction.

 

Un témoignage unique

Il s'est publié plusieurs livres dans la foulée des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan. Paris est une ville d'écrivains et plusieurs victimes, témoins et Parisiens «ordinaires», ont sublimé leur douleur par l'écriture. Nous en avons lu plusieurs, que ce soit le très beau L'indicible de A à Z de Georges Salines, père d'une victime du Bataclan, C'était Charlie de Philippe Val, Chérie, je vais à Charlie de Maryse Wolinski ou encore Terreur de Yann Moix. Le lambeau se distingue toutefois des autres. OEuvre d'un journaliste qui assistait à la réunion hebdomadaire de Charlie dans les locaux de la rue Nicolas-Appert, ce récit nous emmène au coeur de l'attentat qu'on revivra seconde par seconde avec le narrateur.

L'attentat

«Lorsqu'on ne s'y attend pas, combien de temps faut-il pour sentir que la mort arrive?», écrit Philippe Lançon, qui poursuit: «Ce n'est pas seulement l'imagination qui est dépassée par l'évènement ; ce sont les sensations elles-mêmes.» La description de ce qu'a vu et vécu le journaliste est très forte, autant sur le plan du style que par son pouvoir d'évocation. On est là avec lui lorsque les frères Kouachi font irruption dans les modestes locaux de Charlie Hebdo. Et c'est carrément traumatisant. Puis quand les terroristes s'en vont, on prend en même temps que le narrateur la mesure du carnage. Philippe Lançon ne nous épargne aucun détail. Les lecteurs plus sensibles sont avertis, c'est une lecture qui laisse des traces.

Un hommage à la littérature

Le lambeau est aussi un livre sur la puissance de l'art, sur la culture comme éthique de vie et comme outil contre la barbarie. Sans ce monde intérieur riche et foisonnant, sans les références au théâtre et à la littérature, Philippe Lançon ne serait peut-être pas passé à travers cette terrible épreuve. C'est cette richesse intellectuelle qui lui a permis d'ériger un rempart contre le découragement et la détresse.

Comment vivre après?

Loin de toute complaisance, Philippe Lançon raconte sa difficile remontée. Comment se reconstruire physiquement et, surtout, psychiquement après avoir vécu un attentat terroriste et frôlé la mort de si près? Alors que des policiers gardent l'entrée de sa chambre à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, le journaliste fait connaissance avec la douleur, la rééducation, l'humilité de ne plus pouvoir se lever et se laver seul. Il ne sera plus jamais le même homme. Il raconte avec énormément d'humanité sa relation avec les soignants, avec les infirmiers et infirmières qui l'accompagneront dans sa convalescence. Bien qu'il n'essaie pas de se positionner en héros, son attitude face à la douleur, la souffrance et la reconstruction (il a subi 17 opérations!) est admirable, véritable leçon de courage et d'acceptation. On prédit que Le lambeau sera sans doute conseillé à tous ceux qui sont touchés par la maladie et qui font face à l'épreuve. Ce récit aurait pu être larmoyant, mais il évite ce piège. C'est plutôt un roman d'une grande humanité.

Un roman magnifiquement écrit

Philippe Lançon est un grand écrivain et c'est triste de constater qu'il aura fallu un tel évènement pour le découvrir. On peut aussi se demander si son écriture aurait eu une telle puissance et une telle profondeur s'il n'avait pas vécu cette épreuve. On navigue entre ses souvenirs, ses observations personnelles, ses réflexions, sa tendresse inouïe pour sa famille, ses amis proches. Il partage avec nous sa peur, sa fragilité. C'est parfois très analytique et détaché, parfois hyper intime et terriblement émouvant. Le style, d'une grande maîtrise, est précis, l'écriture, ciselée. On a souvent les larmes aux yeux, mais sans jamais se sentir manipulé. C'est aussi une oeuvre philosophique. Bref, c'est un très grand roman.

Attention, phénomène!

Paru en Europe la semaine dernière, Le lambeau a rapidement trouvé son public. Déjà au 4e rang des ventes du palmarès Livres Hebdo en France, le roman en est à sa troisième réimpression, pour un total de 55 000 exemplaires.

C'est le quatrième roman de Philippe Lançon, qui a déjà remporté deux prix pour l'excellence de son travail journalistique.

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Le lambeau. Philippe Lançon. Gallimard, 512 pages. En librairie.