C'est une histoire de rendez-vous manqués entre la littérature autochtone et le lectorat québécois. Mais les choses changent. Une maison d'édition autochtone, Hannenorak, et un Salon du livre des Premières Nations existent depuis sept ans. Et les auteurs sont de plus en plus nombreux à publier romans, recueils et essais en français.

«Au départ, l'écriture ne faisait pas partie des traditions des Premières Nations, observe Daniel Sioui, qui a ouvert la librairie autochtone Hannenorak avec son père, le poète Jean Sioui, en 2009. Mais on n'a pas le choix d'écrire si on veut assurer la survie de notre culture et la transmettre aux autres générations. Sinon, il ne restera plus de traces.»

Au cours des dernières années, la production littéraire a toujours été plus importante chez les anglophones, ce qui s'explique par le plus grand bassin de population et par l'existence d'une université en Saskatchewan qui a contribué à former de nombreux auteurs. Rappelons aussi que pendant longtemps, un autochtone qui décrochait un diplôme universitaire perdait son statut d'Indien.

Un intérêt grandisdsant

Du côté francophone, il faut remonter aux années 70 pour découvrir les écrits dénonciateurs d'An Antane Kapesh (Je suis une maudite sauvagesse), qui se sont cognés au mur de la froideur du nationalisme québécois. Dans les années 90, les livres de Bernard Assiniwi (La saga des Béothuks) se sont heurtés au ressentiment généralisé qui a suivi la crise d'Oka. Mais les barricades semblent levées aujourd'hui.

«La société québécoise est mûre pour les auteurs autochtones, croit la professeure de littérature autochtone francophone à l'Université Queen's, Isabelle St-Amand.

«Beaucoup d'expériences, comme la commission Vérité et réconciliation, sont venues légitimer les histoires des autochtones. Il y a eu reconnaissance officielle des pratiques coloniales destructrices. Au Québec, on a adopté une position politique de négociation de nation à nation. Et du côté autochtone, il y a un grand nombre de jeunes écrivains qui surgissent et qui publient.»

Les écrivains autochtones ont, en fait, gagné le respect page par page, récit par récit, au cours des 10 dernières années. Le feu a couvé longtemps avant de faire des flammèches.

«Il y a un intérêt manifeste», dit Louis-Karl Picard-Sioui, directeur du Salon du livre des Premières Nations - seul «festival» grand public annuel au Canada entièrement consacré aux littératures autochtones - qui vient de se terminer à Québec.

«D'après moi, la grande majorité des Québécois aiment l'art autochtone. Ils y retrouvent une sensibilité qui les rejoint et les renvoie à leur imaginaire.»

«L'an dernier quand Stanké a publié le recueil de nouvelles Amun, je me suis dit qu'on y était. Si Québecor embarque, c'est parce qu'ils pensent qu'il y a de l'argent à faire avec la littérature autochtone. Je ne les blâme pas.»

«Avec Maurizio Gatti [qui a publié Littérature amérindienne du Québec en 2004], poursuit-il, on a commencé, il y a 15 ans, à rêver toute l'infrastructure littéraire autochtone. Il n'y avait aucune maison d'édition autochtone, et aucun éditeur québécois ne s'y intéressait. On a décidé de changer les choses. L'intérêt existe depuis environ 10 ans maintenant.»

Des voix s'élèvent

En 2011, Daniel Sioui et son père, le poète Jean Sioui, ont fondé la maison d'édition Hannenorak. «Je voyais bien qu'il n'y avait pas une place suffisante pour les auteurs autochtones dans les grandes maisons d'édition, souligne Jean Sioui. Or, il y a un boom depuis quelques années du côté des auteurs francophones.»

«Plusieurs jeunes de 30 ans et moins ont pris la plume. On retrouve toujours le côté revendicateur dans leurs écrits, mais il y a d'autres préoccupations plus modernes aussi. Ce n'est pas juste folklorique. C'est bon signe.»

À la même époque, Mémoire d'encrier publiait Aimititau! Parlons-nous!, livre de correspondances entre auteurs québécois et autochtones sous la direction de Laure Morali. L'ouvrage vient d'ouvrir la collection de poche de la maison d'édition.

«La prise de parole autochtone est plus importante depuis 10 ans, confirme Laure Morali. C'est pour ça que le projet est né, pour briser le silence. C'est un livre qui me touche beaucoup, l'humanité qui se dégage des correspondances. La façon dont les gens essaient de se connaître profondément. 

«Aujourd'hui, c'est dans les communautés que ça bouge et que les voix se multiplient. C'est normal. Il y a une émulation qui se crée aussi. Se lire les uns les autres donne envie d'écrire et de continuer.»

photo fournie par l’Université Queen’s

Isabelle St-Amand

Se raconter

Parmi les jeunes auteurs qui se distinguent, on trouve Naomi Fontaine. Son deuxième roman, Makinanetish, fait partie de la liste préliminaire des romans préférés des libraires en 2017. Il raconte la vie d'une enseignante dans une communauté innue de la Côte-Nord. Une histoire résolument moderne qui pourrait se dérouler dans n'importe quelle polyvalente.

«J'aime raconter ce qui se passe dans les communautés. On entend beaucoup parler de chiffres et de tragédies, mais on est incapable d'imaginer la vie dans la communauté innue, à quoi ça rime, comment ça se passe Je ne passe pas à côté des problèmes des communautés, j'en parle honnêtement à travers ce que j'ai vécu. Je ne veux pas faire un livre sur un problème social, mais sur les gens. Ils ne sont pas que des problèmes sociaux. C'est l'humain qui m'intéresse.

«Je lis beaucoup la littérature des Premières Nations, continue celle qui étudie à l'Université Laval. Si j'ai une cause, c'est l'éducation. En me spécialisant dans la littérature autochtone, je me rends compte qu'il n'y a pas grand-chose de fait. Je vois tout le champ d'études, et ça me motive. »

«On entend toujours l'autre version de l'histoire. C'est le temps de raconter la nôtre. C'est essentiel si on veut vraiment se réconcilier.»

La découverte de l'autre

Leurs conditions de publication changent, les écrivains autochtones aussi. Certains sont attachés davantage à l'histoire et aux traditions, mais selon Isabelle St-Amand, l'engagement total des écrivains envers leur communauté reste important.

«Je ne suis pas tellement d'accord avec l'idée du progrès qui dit que le jour où les autochtones ne parleront plus du territoire, ils seront pleinement accomplis comme écrivains. La littérature autochtone s'accomplit déjà en étant de plus en plus publiée. Si on les lit, on voit les liens avec les pionniers comme Kapesh et Assiniwi. Les auteurs ne veulent pas être enfermés dans des attentes de lecteurs. C'est le vrai danger: les obliger à écrire certaines choses pour qu'on les lise. On n'aime pas ça quand les Français ne nous imaginent qu'avec des chemises à carreaux, n'est-ce pas?»

L'autre danger, c'est de confiner la littérature autochtone dans une catégorie dont elle ne sortira jamais. Daniel Sioui en est conscient. «D'une part, les auteurs autochtones sont éparpillés un peu partout et on ne sait pas qu'ils sont autochtones, mais de l'autre, on les enferme dans un ghetto, explique-t-il. Je suis conscient de ce danger.»

Mais pour que les jeunes autochtones aient des modèles, encore faut-il qu'on puisse en identifier. «J'organise des tournées d'auteurs dans les écoles des réserves», des mini-salons du livre aussi, poursuit Daniel Sioui.

«Éventuellement, j'aimerais qu'on occupe un espace dans les grands salons du livre comme Québec et Montréal. On veut attirer les gens, les inviter à découvrir notre littérature.»

«Les autochtones connaissent les valeurs des Blancs pour les avoir côtoyés depuis toujours, mais l'inverse n'est pas vrai. C'est essentiel de se connaître les uns les autres pour en venir au respect», conclut Laure Morali.

photo Patrice Laroche, Le Soleil

Louis-Karl Picard-Sioui