Les événements de Restigouche en 1981, où les Mi'gmaq ont affronté des centaines de policiers de la Sûreté du Québec pour une question de droits de pêche au saumon, servent de toile de fond au nouveau roman d'Éric Plamondon, Taqawan. Une histoire de bruits et de fureur où le style de Plamondon flirte avec le roman noir et les angles morts de notre histoire.

On ne savait pas trop à quoi voulait en venir Éric Plamondon lorsqu'il a publié en 2011 son premier roman. Il promettait alors une trilogie dont le point focal serait l'année 1984. En 2013, c'était chose faite. Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S, inspirés de trois célèbres figures américaines - Johnny Weissmuller, Richard Brautigan et Steve Jobs - sont aujourd'hui trois romans réunis en un seul livre au Quartanier, et qui ont connu un vif succès. À peu près tous ceux qui se sont lancés dans cette lecture, où l'écrivain pratique l'art du fragment et de la courtepointe en laissant le plaisir au lecteur de faire des liens, finissent par lire les trois titres.

Éric Plamondon complétait ainsi son tour du chapeau par une oeuvre brillamment cohérente et réalisait en même temps son grand rêve de devenir écrivain à 40 ans. Ce qu'il est aujourd'hui à temps plein. « Et c'est agréable », nous dit-il avec le sourire du quadragénaire apaisé, alors qu'il était de passage à Montréal pour la sortie de son nouveau livre, Taqawan.

«Un creuset de l'histoire»

Que faire après la trilogie 1984 ? Comment en sortir ? C'est par une novella, Ristigouche, écrite à l'occasion d'un projet spécial des 10 ans des éditions Quartanier, que Plamondon a trouvé son filon. « Je trouvais intéressant qu'au même endroit où avait eu lieu la bataille de la Restigouche en 1760 se produise une autre bataille à deux siècles d'intervalle avec les mêmes protagonistes, d'une certaine manière. Les Anglais, les Français, les Mi'gmaq. Comme si c'était là un creuset de l'Histoire. »

Taqawan, c'est le nom donné par les Mi'gmaq au saumon qui fraye son chemin de la mer à la rivière. C'est aussi le nom révélé de l'un des personnages amérindiens du roman, et une ressource qui mettra le feu aux poudres en 1981, lorsqu'on voudra interdire la pêche à la petite communauté mi'gmaq de ce coin de la Gaspésie. On suit dans le roman quatre personnages en marge de ce conflit d'une grande brutalité : Yves, agent de la faune qui change de camp, dégoûté par ce qu'il voit, Caroline, Française venue enseigner au Québec, William, « Indien » solitaire qui soutiendra Yves lorsque celui-ci portera secours à Océane, adolescente mi'gmaq agressée par des policiers.

Chercher le long fil

On retrouve dans ce roman le style de Plamondon, ces courts chapitres qui mélangent la grande Histoire et la petite, parsemés de détails de la culture populaire. Ainsi, pendant qu'une grave crise secoue Restigouche, la petite Céline Dion chante Ce n'était qu'un rêve chez Michel Jasmin et Gilles Villeneuve remporte le Grand Prix de F1 en Espagne, des détails fortement ancrés dans la mémoire collective québécoise qui est particulièrement amnésique lorsqu'il est question des autochtones. Qui se souvient vraiment des événements de Restigouche ?

En cela, Éric Plamondon reconnaît sa québécitude et il s'est inspiré du documentaire d'Alanis Obomsawin.

Lui qui habite à Bordeaux, en France, depuis une vingtaine d'années a été frappé de voir à quel point les Français sont plus passionnés par la culture amérindienne que les Québécois, qui la côtoient sans la voir. Toutes les nations ont leurs angles morts, il faut dire. En France, ce sont les Algériens. « Tous les pays colonisés ou colonisateurs ont leurs Indiens, en quelque sorte, note-t-il. C'est universel. J'ai découvert mon ignorance en Gaspésie. »

« Ce qu'on ne connaît pas ou qu'on ne nous apprend pas, ce n'est pas parce que c'est caché, ce n'est pas de l'ordre de la volonté, c'est juste qu'on n'en parle pas. Et la pire violence qu'on peut faire, c'est de nier l'Autre. »

Par l'écriture et le télescopage de faits historiques et de visions opposées, Éric Plamondon cherche le long fil qui pourrait dénouer l'impasse de nos relations territoriales, remonte, comme un saumon, à la source de cette sanglante Amérique, dans un roman beaucoup plus sombre et violent que tout ce qu'il a pu écrire avant. D'ailleurs, pendant ses recherches, l'actualité l'a rattrapé. Il y a eu la bataille de Standing Rock au Dakota, il y a eu aussi les révélations sur les agressions sexuelles de femmes autochtones par des policiers à Val-d'Or. « Je trouve ça tellement représentatif de la littérature, qui est perméable à tout ce qui se passe. Plus j'écrivais là-dessus, plus je creusais, plus c'était dans l'actualité et plus ça grossissait. Je pense que nous n'en sommes qu'au début de ces questions. Et ce n'est pas parce que nous n'avons pas de réponses qu'il faut cesser de les poser. »

Oublier les clichés

L'écrivain appartient à cette génération qui n'a pas appris beaucoup plus que ces clichés sur les Indiens qui ont accepté des miroirs donnés par les Blancs, et « justement, il est peut-être temps de briser le miroir ». Il n'a pas la prétention d'être spécialiste ni d'apporter des solutions. « Mais la littérature apparaît souvent là où est le problème, le noeud, croit-il. Ma vision de la littérature, c'est que c'est le seul endroit où tu peux avoir la totalité des discours et des points de vue sur un même sujet. Et ça permet d'en montrer la complexité et de renvoyer le lecteur à cette complexité, de la mettre sur la table, de la faire exister. Kundera disait que la sagesse du roman, c'est la sagesse de l'incertitude. »

Taqawan

Éric Plamondon

Le Quartanier

216 pages

Image fournie par Le Quartanier

Taqawan, d'Éric Plamondon