Petit, économique, souple, capable d'absorber les miettes, les coups et même la pluie, prêté, perdu, récupéré, acheté après mûres réflexions, au vol ou «pour la couverture», le Livre de poche fait partie de nos vies depuis 60 ans. Lancé en 1953, ce format réduit et à prix concurrentiel a bel et bien démocratisé la littérature en permettant à tous de lire de tout, et partout. Aujourd'hui, le Livre de poche est objet courant, expression toute faite («est-ce que ce roman existe en livre de poche?), et se numérise comme tout le monde. Mais il y a 60 ans, il a littéralement révolutionné le livre et la vie des lecteurs!

Au milieu des années 50, Jean-Paul Sartre lui-même s'interroge, dans la revue Les Temps modernes: «Les livres de poche sont-ils de vrais livres? Leurs lecteurs sont-ils de vrais lecteurs?» L'enfer, serait-ce les autres quand ils peuvent s'acheter les livres réservés jusque-là à l'élite?

Publier en petit format, sous une couverture chatoyante et pour pas cher tous les genres de littérature possibles, y compris les grands textes littéraires, tant classiques que contemporains: c'est en effet la force, l'originalité - et la révolution - du Livre de poche en 1953, quand Hachette convainc les éditeurs Albin Michel, Calmann-Lévy, Grasset et Gallimard de s'associer pour créer la collection Le Livre de poche.

Car, à l'époque, le petit format pas cher existe déjà: à partir de 1905, les éditions Jules Tallandier publient une collection baptisée «Livres de poche», mais se concentrent sur la littérature populaire, dont les romans sentimentaux. En 1927, les éditions Le Masque publient également un petit format, mais se spécialisent dans le roman de gare policier, imprimé à peu de frais: Le meurtre de Roger Ackroyd d'Agatha Christie ouvre la collection!

Le vent va tourner en 1935, en Grande-Bretagne, avec les Penguin Books: de grands auteurs anglo-saxons sont enfin proposés aux lecteurs en format compact et à prix avantageux - les États-Unis suivront le mouvement en 1939 avec la création des Pocket Books.

Ce n'est qu'en 1953, dans une France qui se relève encore péniblement de la Seconde Guerre mondiale, qu'Henri Filipacchi, de Hachette, et ses associés éditeurs rachètent le nom «livre de poche» et lancent le Livre de poche tel que nous le connaissons encore aujourd'hui: ouvert à absolument tous les genres littéraires, économique mais bien imprimé, attrayant et qu'on peut glisser dans sa poche, son sac ou son cartable, sans crainte. Et puis, les futurs «baby-boomers», qui ont accès à un système d'éducation enfin ouvert au plus grand nombre, ainsi que leurs parents, qui ont accès à de plus longs congés payés (trois semaines à partir de 1956, en France), ne sont évidemment pas étrangers au succès du Livre de poche!

Le premier titre de la collection, Koenigsmark, écrit en 1918 par Pierre Benoit, est un peu tombé dans l'oubli aujourd'hui (il a pourtant inspiré quatre films!). Mais en 1953, le roman connaît un succès populaire phénoménal grâce au Livre de poche: 870 000 des 990 000 exemplaires vendus entre 1953 et 2005 portent le fameux écusson Livre de poche sur sa tranche! Parmi les autres titres publiés en février 1953, mentionnons Vol de nuit de Saint-Exupéry et La bête humaine d'Émile Zola.

Évidemment, d'autres éditeurs reprendront l'idée du petit format à prix d'ami: J'ai lu en 1958, 10/18 en 1962, Presses Pocket en 1962, Points en 1970, Folio en 1972. Mais c'est Le Livre de poche qui demeure le plus vendu des petits formats: plus d'un milliard d'exemplaires depuis 1953. Ça en fait, des livres. Et des lecteurs.

Le Livre de poche au Québec

Quelque 20% du chiffre d'affaires du Livre de poche est réalisé hors France, dont 4% au Québec seulement! C'est loin d'être négligeable et cela explique, par exemple, les attentions de l'éditeur pour notre petit marché de grands lecteurs.

Ainsi, au début de 2011, Le Livre de poche a fait retraduire Barney's Version de l'auteur montréalais Mordecai Richler (Le monde de Barney) à la faveur de l'adaptation cinématographique qui venait d'en être faite: enfin, une version française dans laquelle «Le Rocket» Maurice Richard n'était plus traduit par... «La Fusée»!

L'auteur dont nous raffolons? Philip Kerr, dont La trilogie berlinoise a connu un succès incroyable ici (20% des ventes en Livre de poche, au Québec seulement!), avec une fidélité qui s'est maintenue, après chaque livre mettant en vedette l'enquêteur Bernhard Gunther.

Autre phénomène: Mange, prie, aime d'Elizabeth Gilbert. Le livre avait connu un succès inédit ici en version originale: sur les 30 000 exemplaires vendus, 15 000 l'avaient été au Québec; quand le livre est sorti chez Le Livre de poche, une bonne partie des 700 000 exemplaires vendus l'avait été au Québec.

Certains auteurs québécois sont aussi publiés au Livre de poche, notamment dans la collection Pratique. «Nous collaborons beaucoup avec les éditions de l'Homme et du Trécarré», explique la directrice générale Cécile Boyer-Runges.

Ouvrages de référence, les livres des docteurs Richard Béliveau et Denis Gingras, ou La maladie d'Alzheimer, Le guide, des docteurs Judes Poirier et Serge Gauthier, comptent parmi les bons vendeurs dans Le Livre de poche.

Mange, prie, aime d'Elizabeth Gilbert