Du journal historique des débuts trifluviens à la grande maison généraliste d'aujourd'hui, le Boréal a toujours été dirigé par des écrivains. Coup d'oeil sur un cheminement dynamique.

«Le défi dépasse le Boréal et les maisons comme la nôtre; il s'agit d'un défi de société», lance l'éditeur Pascal Assathiany, Géorgien d'ascendance, Parisien de naissance et Montréalais d'adoption. Le patron des éditions du Boréal, fébrile mais toujours disponible, était à Paris quand La Presse l'a joint pour faire le point à l'occasion du 50e anniversaire de sa prestigieuse maison. Et sur le reste...

Pour la société, le défi tient à la difficulté de donner aux individus le goût de la lecture. À l'école primaire de préférence. Pour une maison d'édition générale comme le Boréal, explique Pascal Assathiany, le challenge consiste ensuite à «atteindre des gens capables de lire, c'est-à-dire de se pencher sur des problèmes avec un oeil critique: ce n'est jamais gagné d'avance».

Avec une écurie comptant les Blais, Laberge, Péloquin, Laferrière, Proulx, Hamelin et autres plus jeunes cracks, le Boréal se tire bien d'affaire dans un milieu où, par ailleurs, les cinquantenaires ne sont pas monnaie courante. À part Fides, la société mère qui a passé 75 ans, la liste des «indépendants» de cet âge est bien courte: Leméac (1958), Hurtubise HMH (1960), Boréal. Toutes des maisons d'origine montréalaise, à l'exception du Boréal Express, né à Trois-Rivières en 1962 autour de deux jeunes historiens, Jacques Lacoursière et Denis Vaugeois. «En nous penchant sur le grand débat de la nationalisation de l'électricité, raconte M. Vaugeois, on s'est rendu compte que les Québécois ignoraient tout de leur histoire.» Et le groupe a lancé le journal historique Boréal Express. Succès immédiat... et exigeant qui verra bientôt Denis Vaugeois seul à la barre, jusqu'à son élection comme député du Parti québécois en 1976.

Vendu à Antoine Del Busso, Boréal Express, déjà éditeur d'essais historiques, déménage bientôt à Montréal et s'ouvre à la fiction. Le reste, comme on dit, fait partie de l'Histoire... Comme Jacques Godbout, président du conseil et membre du comité littéraire avec Pascal Assathiany, François Ricard, Hélène Girard et Jean Bernier, le directeur de l'édition. Cinéaste, romancier, essayiste, M. Godbout a participé à la mise sur pied de bien des institutions québécoises durant sa longue carrière, de l'Union des écrivains à la revue Liberté. Comment le Boréal l'a-t-il accroché? «Par la rapidité de l'action, le peu de temps qui s'écoulait entre l'acceptation d'un manuscrit et son arrivée en librairie. L'autre aspect est que la maison, depuis ses débuts, a toujours été dirigée par des lecteurs-écrivains.» Pour l'auteur de Salut Galarneau! (1967), ce modus operandi garantit la prédominance des critères de qualité littéraire et argumentaire. «Nous sommes indépendants et exigeants...»

Le Boréal travaille dans la durée, édite «des écrivains plutôt que des titres» en mettant toujours l'auteur en avant. «Comme éditeurs, nous sommes des accompagnateurs», explique Jean Bernier qui supervise annuellement le cheminement d'environ 70 titres, dont plus de 50 nouveautés, également divisés entre essais et romans de caractère de plus en plus «introspectif». Au Boréal, pas de littérature de genre - historique, érotique, policier - et pas de «ligne politique»: un Claude Morin puis un Sheila Copps... Faut tous les vendre pareil. «Comme entreprise, nous devons toujours trouver l'équilibre entre la création et le commerce.»

Offrir au lecteur-acheteur des livres de qualité, voilà la mission que poursuit le triumvirat borealis. En prenant acte des changements ambiants.

Boréal en cinq noms

Gilles Archambault

Il a écrit son premier roman, La vie à trois, bien avant que le Boréal ne publie sa première oeuvre de fiction, Le canard de bois de Louis Caron. C'était en 1981, l'année même où Gilles Archambault recevait le prix Athanase-David pour l'ensemble de son oeuvre. Par l'entremise de son ami François Ricard, «l'écrivain de la parole» arrive bientôt au Boréal avec À voix basse, un titre qui le décrit bien, lui, l'ancien animateur de Jazz soliloque. Suivront, aussi «criards», La fuite immobile, L'ombre légère, Qui de nous deux?. Unique.

Marie-Claire Blais

Dans le groupe restreint des vedettes internationales de la littérature québécoise, elle occupe le premier rang depuis que le prix Médicis l'a consacrée en 1966 pour Une saison dans la vie d'Emmanuel. Passée à Boréal dans les années 90, Mme Blais a ajouté à son palmarès deux prix du Gouverneur général - pour Soifs en 1996 et Naissance de Rebecca à l'ère des tourments en 2008. Côté francophone, ses quatre «G.G.» constituent un record qu'elle partage avec le dramaturge Normand Chaurette. Au Boréal, M.C.B. est comme le joyau de la couronne.

Marie Laberge

Dans un monde où la fidélité n'est pas la règle première, l'auteure de Juillet apparaît comme une spectaculaire exception: depuis ses débuts littéraires il y a 30 ans, Marie Laberge a publié tous ses romans au Boréal. Et en a vendu plus que quiconque au Québec - quasiment 600 000 exemplaires pour la trilogie Gabrielle-Adélaïde-Florent (2000-2001), des sommets qui ont comme effet de solidifier l'amitié et la fidélité de Boréal pour la favorite du public québécois qui a vraiment donné à sa maison Le goût du bonheur...

Daniel Poliquin

Une grande maison d'édition doit pouvoir compter sur plusieurs types de talents et de personnalités pour atteindre «l'équilibre dans la diversité». Le Boréal a la chance d'avoir en ses rangs Daniel Poliquin, un auteur qui, contrairement aux touche-à-tout et autres «Jack of all trades», excelle tant comme romancier (L'écureuil noir) et essayiste (Le roman colonial, titre trompeur...) que comme traducteur. Dans le passé récent du Boréal, Le rêve de Champlain représente un sommet de maestria, tant dans le texte original de David Hackett Fischer que dans la traduction de Daniel Poliquin.

Miriam Toews

Pour éviter le nombrilisme de l'«ici, nous autres», le Boréal continue de publier en traduction les meilleurs romanciers du Canada anglais: Margaret Atwood, Michael Ondaatje, Lisa Moore et Miriam Toews, qui vient de lancer Jamais je ne t'oublierai, l'histoire - écrite au je - de son père maniaco-dépressif. Choyée par le talent des traducteurs Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Miriam Toews (prononcé teiz) avait vu paraître ici en 2011 Irma Voth sur la communauté mennonite qui l'a vue naître. Ça fait changement des histoires de Plateau...