Après avoir vidé toutes les caves à vin de la province avec les Grandes Crues, Eve Côté lançait mercredi soir sa première tournée en solo, Côté Eve, un hommage à la parlure de sa Gaspésie natale.

Elle serait, s’il faut se fier à la voix hors champ qui la précède sur scène, « la meilleure chose à être sortie de la Gaspésie depuis la morue sec ». Elle prévient elle-même, quelques minutes plus tard, qu’elle n’a « pas ce qu’il y a de plus princier comme syntaxe ». Au sein des Grandes Crues, Eve Côté incarnait, dans une forme qui rappelait pour le mieux l’époque des cabarets, une certaine confusion affective et existentielle des femmes de sa génération. Elle était la Denise de sa Dodo, Marie-Lyne Joncas.

Côté Eve, son premier spectacle solo qu’elle révélait devant les médias et ses pairs mercredi soir à l’Olympia, propose quant à lui un pas de recul. Il se déploie, à l’instar de bien des premiers spectacles d’humour, comme un récit de tout ce qui a précédé ce grand soir, dans la vie de sa vedette.

En s’autoproclamant rapidement « femme du peuple », la trentenaire devance d’ailleurs les critiques qui pourraient lui reprocher son langage polisson, qui ancre la plupart de ses métaphores dans le bas du corps.

En entrevue avec La Presse, Eve Côté a dit cette semaine avoir déjà été comparée à une rencontre entre le Caxtonien Fred Pellerin et l’Américaine Amy Schumer. De la seconde, elle ne tient en réalité qu’une absence complète de gêne à prononcer certains mots servant à nommer ce qui se trouve sous la culotte – vous gagneriez à passer votre chemin si la désignation explicite des appareils reproducteurs féminins ou masculins, et de ce qui les environne, vous indispose.

L’humoriste a étonnamment beaucoup plus en commun avec le conteur québécois et avec sa manière de forger dans le vernaculaire inventif de son coin de pays des expressions à coucher dehors, qui provoquent les rires les plus francs de la soirée – les régionalismes de Fabien Cloutier viennent aussi à l’esprit.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Sa syntaxe n’a effectivement rien de princier, mais son travail agile de la langue fait d’elle la plus en verve des roturières.

En souvenir des gâteaux Vachon

Eve Côté se moque allègrement des personnages qui peuplent sa Gaspésie natale, mais toujours sans malice, elle qui exalte une vision des régions du Québec où l’esprit de communauté triompherait de l’individualisme. Son souvenir vibrant des journées lors desquelles elle accompagnait son père livreur de gâteaux Vachon dans sa tournée des quartiers de Gaspé est le prétexte à un émouvant retour à l’émerveillement de l’enfance, l’ingrédient principal du plus beau numéro du spectacle.

Sa nomenclature des différents délices sucrés mis en marché par la mythique boulangerie témoigne de ce qu’Eve Côté sait faire de mieux : évoquer avec tendresse et taquinerie la chaleur d’une époque de bonheurs simples et de liens solides entre les habitants d’une même ville.

Signée Joël Legendre, la mise en scène appartient elle aussi à une autre époque, mais pas forcément pour le meilleur. Avec ses tableaux chantés, façon comédie musicale, ses fondus au noir découpant chaque numéro et ses éléments de décor pas toujours utiles (un escalier posé au centre se transforme en camion ou en table de cuisine), Côté Eve semble parfois nous parvenir du milieu des années 1990.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Il n’y a bien sûr aucune raison d’ériger la pureté du stand-up à l’américaine (tabouret, micro, bouteille d’eau) en religion, comme certains humoristes le font, d’autant que l’humour québécois a toujours puisé dans différentes traditions. Mais l’art du stand-up repose d’abord et avant tout sur la capacité d’un artiste à faire éclore des univers avec pour seuls outils les mots et son corps, à donner l’impression qu’il réfléchit à voix haute, sur le ton familier d’une conversation entre amis, et non qu’il débite un texte appris.

Eve Côté en est évidemment capable. Elle pourrait aisément se délester de ce qui, dans ce spectacle, appartient plus au théâtre et crée comme une distance entre son public et elle.

Sa méfiance face aux hommes, ses années de hockey, sa découverte de l’alcool : Eve Côté zigzague entre différents sujets, avec comme fil rouge une conception de la famille en tant que socle de son identité et de ses valeurs. Mais chacun des portraits qu’elle peint des membres de la maisonnée de sa jeunesse peine à transcender le stade de l’archétype.

Un diaporama de photos de ses proches, projeté en tombée de rideau, donnait soudainement vie, pour vrai, à sa galerie de personnages, une famille que l’on aimerait mieux connaître. Ce qui n’est sans doute que partie remise, la place à part qu’occupe Eve Côté dans celle de l’humour québécois ne faisant aucun doute.

Côté Eve

Côté Eve

Eve Côté

En tournée partout au Québec

6,5/10

Consultez le site d’Eve Côté Lisez l’entrevue de Marissa Groghué avec Eve Côté