Les nombreux comédiens qui montent des spectacles solos tentent-ils tous de devenir humoristes ? Non, répond Christian Bégin, qui présentera la première des 8 péchés capitaux en octobre. « La maison de production en fait la promotion de cette façon-là, sauf que j’ai toujours dit que c’était un spectacle d’humour, mais pas que. »

Le problème, avec les catégories, c’est qu’elles deviennent souvent aussi étouffantes qu’une camisole de force. Parce que les spectacles qu’ils présentent en solo ne correspondent pas parfaitement à la case théâtre, les Emmanuel Bilodeau, Fabien Cloutier, Jean-Sébastien Girard et Christian Bégin, que vous pourrez tous voir sur scène cet automne parler au « je » sur un ton plus ou moins comique, aboutissent tous, par défaut, dans la case humour.

« J’ai toujours dit que c’était un spectacle hybride, précise Christian Bégin. On n’est pas dans une forme traditionnelle de stand-up, il n’y a pas cette mécanique mathématique du rire ni cette injonction au rire constant. Mais bien sûr qu’on le vend dans le créneau des spectacles d’humour. »

Dans Les 8 péchés capitaux, l’animateur de Y’a du monde à messe tentera donc de mesurer, entre légèreté et gravité, réflexions et confidences, s’il a toujours ce qu’il faut, à 59 ans, « pour métaboliser tous les changements auxquels la société nous soumet, à grande vitesse. » Généreux en rires, le texte se permet aussi d’autres tonalités.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Bégin

Et c’est quelque chose qu’il faut que je défende auprès des producteurs [KOScène]. Ce n’est pas une bataille, mais il faut quand même que j’explique que les bouts où les gens ne rient pas, ce n’est pas un problème pour moi. Je suis juste en train d’aller visiter un autre terrain de jeu avec eux.

Christian Bégin

La sortie à TLMEP

L’homme de théâtre n’ignore pas l’œil suspicieux avec lequel certains contemplent son prétendu passage à l’humour, lui qui, en 2004 sur le plateau de Tout le monde en parle (TLMEP), commentait tièdement la performance de Stéphane Rousseau dans Les invasions barbares et, plus largement, l’invasion des humoristes sur les écrans de cinéma.

Une sortie qu’il regrette d’avoir personnalisée, bien qu’il persiste et signe dans sa dénonciation « de la valeur marchande qu’on attribue à des individus de par leur statut, qui mène à des choix de marquise, plutôt qu’à des choix artistiques. »

L’ironie dans tout ça ? Christian Bégin a enseigné pendant une décennie à l’École nationale de l’humour, a signé des mises en scène pour Martin Matte, Maxim Martin et Jean-Thomas Jobin et ne méprise pas davantage les humoristes qu’il méprise l’huile d’olive.

Il se trouve en fait que Christian Bégin a fait ses premières armes comme humoriste, avant même d’étudier en théâtre. Il participait au début des années 1980 à La relève super talent de Jean Beaulne et terminait bon deuxième derrière André-Philippe Gagnon et son homme saxophone. « Laisse-moi te dire que lorsqu’il est passé avant moi, je ne voulais plus y aller ! »

Qu’à cela ne tienne, le jeune homme autoproduisait au Théâtre Élysée en 1990 un premier one-man-show, Que reste-t-il de mes amours ?, puis en 1997, révélait son personnage de crooner en goguette dans I’ve Got a Crush on You ou J’ai une orangeade sur toi. « Je ne m’en vais pas sur scène aujourd’hui comme humoriste, dit-il, mais je n’ai pas de problème à réclamer le statut d’humoriste, parce que j’ai déjà pratiqué ce métier. »

Parler directement

Décision purement mercantile que de placer l’étiquette humour sur ces seuls-en-scène que créent des comédiens populaires ? Emmanuel Reichenbach s’en défend. « Souvent, je trouve que les catégories sont un peu rigides », plaide le producteur chez Encore, la boîte derrière les tournées d’Anne-Élisabeth Bossé, Fabien Cloutier, Marc Messier et même l’horticultrice Marthe Laverdière. Mais, convient-il, « il y a cette envie très forte chez le public d’aller passer un moment près d’un artiste qu’il aime ».

Et l’inverse est aussi vrai, corrobore Christian Bégin. « Ça participe pour moi d’un désir de casser le quatrième mur, de m’adresser directement aux gens, d’avoir une réponse. C’est un thrill complètement différent. »

Historien de l’humour au Québec, Robert Aird explique que le vocable « humoriste » ne s’impose qu’au cours de la décennie 1980, alors que l’industrie du rire s’échafaude. « Avant, on avait soit des monologuistes, soit des fantaisistes », souligne-t-il, tout en rappelant que ceux et celles que l’on considère comme les fondateurs de l’humour québécois — Yvon Deschamps, Clémence DesRochers, Sol — venaient forcément d’un autre milieu : de la musique, du théâtre ou de la littérature.

Je ne crois pas que les comédiens qui s’aventurent sur ce terrain-là le font comme des humoristes. À vue de nez, les formes qui sont proposées par mes camarades ne ressemblent pas à ce qu’Adib Alkhalidey ou Virginie Fortin font, où, même s’il peut y avoir des moments de poésie ou de philosophie, le rire est au cœur de la démarche.

Christian Bégin

Le curieux pécheur demande parfois aux spectateurs, en fin de représentation de rodage, si la soirée a été pour eux « déroutante ». Et personne ne répond par l’affirmative. « Je le vois en télé : on parle souvent de la madame de Chibougamau, qui ne comprendra pas. Mais la madame de Chibougamau, ce n’est pas une conne. Si ton show est bon et si tu donnes des clés aux gens, généralement, ils suivent. »

Les 8 péchés capitaux selon Christian Bégin, du 19 au 21 octobre au Théâtre Outremont, puis en tournée partout au Québec

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