« C’est mon premier spectacle depuis que je suis maman », a hurlé Rosalie Vaillancourt en amorçant le premier des deux galas Juste pour rire qu’elle animait samedi soir, un an presque jour pour jour après avoir piloté semblable évènement à quatre mois de grossesse. Mais est-ce que la maternité a transformé Roro ?

Réponse : Rosalie Vaillancourt, la femme, s’est bel et bien transformée. Exemple : l’odeur de Canadian Tire dont son amoureux est imprégné lorsqu’il en revient l’émoustille désormais. Mais Rosalie Vaillacourt l’humoriste, elle, n’a pas changé du tout. Son numéro d’ouverture en faisait l’incontestable preuve.

Après s’être proclamée MILF (on vous laisse googler cet obscène acronyme si vous en ignorez la signification), la très énergique hôte a déballé le récit de son accouchement en multipliant les blagues polissonnes sur la taille vraisemblablement gigantesque de son organe tubulaire musculo-muqueux (son vagin, oui).

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Rosalie Vaillancourt sur scène, samedi soir

Au premier degré, la jeune maman appuyait généreusement sur le bouton de la vulgarité, mais témoignait en sous-texte de la crainte du corps changé à tout jamais qui assaille bien des femmes après avoir donné la vie. La gentille petite peste de l’humour a là une amorce prometteuse à son deuxième one-woman-show.

Parmi les faits saillants de la soirée, évoquons d’abord Jean-Sébastien Girard, qui, à l’aide d’humiliantes photos d’enfance, s’est remémoré les quolibets dont il avait été victime à l’école. Bien que le procédé ait souvent été employé en stand-up québécois au cours des dernières années, le garçon pas comme les autres a su bien en user afin de moduler son numéro, quelque part entre vacherie et émotion. Confidence : la tendre vipère a bien failli nous arracher une larme.

Véronique Isabel Filion, vue la semaine dernière au Zoofest, a également fait mouche grâce à cet irrésistible mélange de (fausse) timidité et de charisme avec lequel elle habite la scène. Son numéro sur l’image corporelle évitait à la fois l’apitoiement et la morale.

Colin Boudrias s’est de son côté imaginé le jour où, en 2080, le vieillard qu’il sera devenu proclamera qu’« on ne peut plus rien dire ». Il est habilement parvenu à livrer un message de bienveillance entre les générations, sans jamais sonner gnangnan, tout en envoyant quelques grinçantes vannes à Justin Trudeau et François Legault. Quiconque pleure la disparition de l’humour social et politique se tairait immédiatement s’il allait le voir en spectacle.

Adib Alkhalidey participait, quant à lui, à chacun des galas de la semaine, un exploit qu’avait aussi accompli Yvon Deschamps lors des 25 ans du festival.

Certes, le Québec ne connaîtra jamais un autre Yvon, mais Adib a déjà commencé à graver son nom dans l’édifice de notre culture. Disons-le simplement : samedi soir, l’artiste québécois a tout arraché.

En début de programme, Suzie Bouchard aura eu du mal à installer son rythme. Son monologue, qui reposait pourtant sur un texte solide, peinait à prendre son envol. Quant à Jean-Michel Martel, son numéro jouissait d’un excellent flash (un prof de maths qui se confie sur sa vie sentimentale à travers sa matière), mais son efficacité s’est émoussée à force d’être décliné d’innombrables manières.

La télé avant tout

Le collègue Luc Boulanger le soulignait cette semaine : un gala Juste pour rire ressemble aujourd’hui davantage à un tournage télé tenu dans le décor d’une vraie salle de spectacle qu’à un vrai spectacle qui se trouverait par ailleurs à être filmé pour la télé.

Après un interminable laïus de l’animateur de foule, le public a ainsi été invité à rire, à applaudir et même à offrir une (fausse) ovation debout, afin de faciliter le travail des monteurs. Il n’y a rien qui donne moins envie de manger de la saucisse à hot-dog que de visiter l’usine où on les fabrique.

Se pourrait-il que cette formule, celle des galas, ait atteint la fin de sa vie utile ? La soirée de samedi manquait en tout cas de ce fil conducteur et de ces étincelles propres à un évènement auquel on assisterait avec l’impression que quelque chose d’historique pourrait s’y produire.

Ce constat n’est bien sûr pas du tout à porter au compte de Rosalie Vaillancourt et de ses invités, mais plutôt à celui de Juste pour rire. À l’heure où il est possible d’aller entendre un enchaînement de très bons humoristes chaque soir de la semaine au Bordel ou au Terminal, pour beaucoup moins cher, un évènement de la sorte gagnerait à en faire davantage, à servir de l’inédit et à tenter d’être plus… événementiel ?

Événementiel ? Le seul numéro de variétés du gala, un coucou surprise de Gabrielle Destroismaisons venue offrir une relecture de son tube Et cetera à toutes les mamans qui peinent à endormir bébé, aurait vraiment pu durer plus longtemps, ne serait-ce que pour Katherine Levac, tout sourire à son côté, qui semblait vivre un des plus beaux moments de sa vie. Celle-ci retrouvait son amie Rosalie afin d’imaginer une suite à leur sketch de l’été dernier, présenté alors qu’elles trimballaient toutes les deux de jolis bedons ronds.

Mais le bref moment de scène réservé à la chanteuse était à peine fini qu’une voix nous intimait de nous diriger vers la sortie et d’aller boire une bière sur le site extérieur. Nous aurions pourtant été ravis de danser avec Gabrielle, Katherine et Rosalie toute la nuit, ou du moins jusqu’au prochain refrain.