Des hordes de gens, essentiellement dans la vingtaine et la trentaine, étaient agglutinées autour du Centre Bell, vendredi soir, un peu avant 20 h. Pour assister au concert d’un légendaire groupe de rock ? Ou à celui de la pop star du moment ? Pantoute. 21 131 personnes étaient venues assister à l’enregistrement d’un balado, Mike Ward Sous écoute.

Ce qui n’a pas empêché ces 21 131 personnes — autrement dit, le Centre Bell à guichets fermés — d’accueillir Mike Ward avec la révérence habituellement réservée à un légendaire groupe rock et avec l’euphorie que génère une pop star.

Après un hymne national interprété par le tonitruant Mike Paterson (Charles Prévost-Linton sur les amphétamines) et un montage vidéo récapitulant l’histoire du balado né en 2011, l’hôte en noir s’est frayé un chemin, avec nonchalance, à travers la foule au parterre. Bouteille de bière à la main, l’humoriste semblait effaré de l’ovation monstre — le Centre Bell au complet, debout — qui lui était réservée.

« Le Centre Bell, c’est jamais le fun pour l’humour. » C’est bel et bien de la bouche de Mike Ward que cette phrase est un jour sortie, durant un épisode de Sous écoute. Comprendre : ce Centre Bell n’était d’abord qu’une idée lancée à la blague, afin de se moquer de ses collègues qui se piquent d’avoir donné un spectacle de stand-up dans le domicile du CH, sans le remplir en entier. Au cours des dernières semaines, l’animateur parlait ironiquement de l’évènement comme de son Centre Brag. Brag comme dans : se vanter.

« Honnêtement, je pensais avoir un meilleur accueil que ça. On va ajouter des claps au montage », a lancé en Ward en riant pendant que tout le monde se rassoyait, avant de convier Jean-Thomas Jobin, son acolyte de plusieurs des épisodes les plus mémorables de Sous écoute. Le maître de l’absurde avait été enrôlé à titre de coanimateur officiel des deux balados qui étaient enregistrés vendredi. Et parce que Jean-Thomas Jobin est Jean-Thomas Jobin, le fantaisiste a offert à son ami de longue date, en guise de cadeau d’hôte, un… acrostiche.

Plutôt que d’être entouré de deux invités, comme le veut la formule consacrée, Ward en avait convoqué trois par édition. Christine Morency et Les Denis Drolet (Sébastien Dubé et Vincent Léonard), des habitués, formaient la première tablée, Marilyne Joncas, Martin Matte et Stéphane Rousseau, la seconde.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Mike Ward et son coanimateur Jean-Thomas Jobin ont accueilli Christine Morency et Les Denis Drolet (Vincent Léonard et Sébastien Dubé) pour l’enregistrement du premier épisode, vendredi soir.

Sur une scène centrale tournante, « comme le Concorde à Québec », dixit Vincent Léonard, les humoristes composant le premier quintette ont donc improvisé une conversation à bâtons rompus qui se voulait semblable à celles qui sont généralement captées sur les planches du Bordel : désordonnée, vulgaire, parfois hilarante, bien que considérablement plus décousue qu’à l’habitude.

Autour d’une table ronde d’une taille ridiculement petite, il a évidemment beaucoup été question (trop ? ) de la furieuse et magnifique absurdité de ce que nous vivions collectivement. Le deuxième quintette a d’ailleurs mieux su faire fi de l’incongruité du contexte. Martin Matte et Mike Ward ont même raconté une anecdote de jeunesse, inventée ou pas, mettant en scène des travailleuses du sexe dont ils avaient retenu les services.

Étrange et historique

Enregistrer un balado au Centre Bell ? La soirée s’annonçait étrange et l’a absolument été, mais que dans la mesure où 21 131 personnes s’y étaient déplacées le cœur rempli de la joie singulière de participer à un moment certes étrange… et historique !

Historique ? Des représentants du Livre Guinness des records étaient sur les lieux afin d’homologuer celui de Ward et ses comparses, qui auraient battu le précédent record du balado enregistré devant la plus large foule, établi en novembre 2021 au OArena de Londres, devant 13 000 paires d’oreilles.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Au total, 21 131 personnes ont assisté à l’enregistrement du balado Sous écoute.

« On dirait que je viens juste de flasher qu’il y a plus de 21 000 personnes », s’est exclamé Jean-Thomas Jobin après une trentaine de minutes. « C’est quand même weird », dira plus tard Ward.

Bizarre ? Un aréna est-il vraiment un lieu adéquat où enregistrer un balado ? Bien sûr que non, surtout à cause du son — il était évident vendredi que le Centre Bell ne jouit pas de la même acoustique que la Maison symphonique.

Mais il était aussi évident que le public de Sous écoute, d’une farouche fidélité, venait moins écouter des échanges entre artistes que manifester son adhésion au milieu du balado humoristique, qui s’est épanouie en marge des médias traditionnels et dont Sous écoute a été le fer de lance.

Vincent Léonard parlait à juste titre d’un « esprit de gang, de clan », d’un « sentiment d’appartenance ».

Durant la traditionnelle séance de questions-réponses qui a conclu le premier épisode, un spectateur a demandé à Ward s’il entendait chanter pour le pape lors de son imminente visite au pays, un clin d’œil pas subtil au feuilleton judiciaire entre Mike Ward et Jérémy Gabriel, qui a un jour poussé la note devant Benoît XVI.

Sans que personne épilogue sur le sujet, il était néanmoins manifeste que la soirée avait quelque chose d’un rassemblement en hommage à Mike Ward, dont chacun des invités a vanté la bonté et la générosité. Son pote Pantelis lui offrirait même une ceinture de champion de lutte en tombée de rideau.

Si Mike Ward est pour certains un être vil et méprisable, il est visiblement pour bon nombre le vénérable créateur d’un phénomène culturel d’un retentissement inédit dans l’histoire de l’humour au Québec. L’enquête de La Presse au sujet de Philippe Bond, parue jeudi, n’a pour sa part été abordée qu’à la volée.

Jean-Thomas Jobin n’aurait pas su mieux résumer l’état d’esprit collectif que dans cette phrase, offerte à son ami yeux dans les yeux et main sur son épaule : « Mike Ward, t’es quelqu’un qui gagne à être connu. »