L’une des huit femmes accusant l’humoriste et comédien Philippe Bond d’inconduites sexuelles dans un reportage de La Presse a affirmé jeudi qu’elle portera plainte contre lui pour des gestes qu’elle aurait subis à Gatineau en 2007. Plus tôt en journée, Philippe Bond s’est retiré de la vie publique, des partenaires d’affaires de l’humoriste ont pris leurs distances, ce que certains producteurs avaient déjà fait depuis plusieurs années.

L’humoriste et comédien Philippe Bond s’est retiré jeudi de la vie publique, à la suite d’allégations d’inconduite sexuelle révélées dans un reportage de La Presse.

L’une de ses huit accusatrices, Lisa Matthews, affirmait être allée à la police de Gatineau, deux semaines après avoir été victime d’une agression sexuelle qu’aurait commise l’humoriste à Gatineau en 2007, pour s’enquérir de ses recours.

Mais elle dit ne pas avoir été prise au sérieux par des policiers, qui, selon elle, s’inquiétaient surtout de la carrière de M. Bond. « Quand j’ai vu le genre de questions des policiers, je suis partie. Ça allait être ma parole contre la sienne. Ça ne me tentait pas de me sentir encore plus dégueulasse », confiait-elle dans le reportage publié jeudi.

Contactée en soirée jeudi, Lisa Matthews a indiqué à La Presse qu’elle avait été jointe par le SPVG pendant la journée et qu’elle entendait maintenant porter plainte contre l’humoriste. « [C’est bien de] savoir que le SPVG dit qu’il est prêt à m’entendre. Je ne suis pas sûre que je l’aurais fait [autrement]. Je suis très contente de voir que les choses ont changé depuis 2007 », a-t-elle dit.

Bien consciente de ce qui l’attend, Lisa Matthews se dit prête à assumer les conséquences.

Je sais que ce ne sera pas facile, mais je ne me vois pas, maintenant, abandonner. Si je ne vais pas au bout de ça, c’est comme le laisser gagner. Peu importe le dénouement, qu’il soit reconnu coupable ou pas coupable, l’important pour moi, c’est de dire ce que j’ai vécu et que ça cesse.

Lisa Matthews, l’une des accusatrices de Philippe Bond

Lisa Matthews espère ainsi convaincre d’autres victimes de se faire entendre. « J’espère qu’elles vont pouvoir se sentir en confiance de [pouvoir] dire quelque chose. C’est sûr que ça me fait peur : est-ce que je vais être la seule à le faire ? Peut-être, mais j’espère que d’autres le feront avec moi », dit-elle.

Pas de commentaires de la police

Il n’a pas été possible d’obtenir une réaction du SPVG, jeudi, sur ce cas précis. Les services de police ne peuvent confirmer ou infirmer si une personne a fait l’objet d’une plainte ou d’allégations, à moins que des accusations criminelles n’aient été autorisées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

« Nous tenons à dire que le Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) prend ce type de dénonciations très au sérieux et que nous sommes très soucieux de mettre la victime au centre de nos interventions tout en nous assurant d’adopter les meilleures pratiques », a répondu par courriel le corps policier.

Selon le SPVG, les policiers ou les enquêteurs posent des questions afin d’obtenir le plus d’informations possible sur les évènements. « Nous comprenons que ces questions puissent susciter un certain inconfort, voire de l’incompréhension chez une victime et que cela puisse donner l’impression que sa parole est remise en doute. Sachez qu’il n’est pas plus facile pour un policier d’adresser ces questions avec la victime qui le rencontre pour lui confier une épreuve difficile qui la met, sans doute, encore dans un état de vulnérabilité. »

Dans son courriel, le SPVG rappelle qu’il est « essentiel » d’obtenir les réponses à ses questions pour que le dossier permette de prouver hors de tout doute raisonnable que l’infraction a bel et bien été commise. « Nous encouragerons les victimes à briser le silence et à venir rencontrer nos policiers et nos enquêteurs. »

Des relations d’affaires rompues

Bell Média a annoncé qu’elle rompait ses « relations d’affaires » avec l’humoriste de 43 ans. Le coanimateur de C’t’encore drôle, sur les ondes d’Énergie, « ne fera plus partie de la programmation radio », a confirmé le service des relations publiques.

Bell Média a aussi annoncé « suspendre la diffusion de ses entrevues et de ses performances individuelles » sur toutes ses plateformes. Les archives d’émissions d’Énergie et du réseau de télévision Noovo ont bel et bien été mises à jour.

Très tôt dans la journée, Philippe Bond avait lui-même annoncé son départ « de la vie publique, de la radio et des spectacles ».

« Je suis atterré par ce que je viens de lire. Je ne reconnais pas la personne qui est décrite dans cet article », a dit Philippe Bond, dans une publication sur son compte Instagram, dès le début de la journée.

Lisez notre enquête « Huit femmes accusent Philippe Bond d’inconduites sexuelles »

D’ailleurs, le site web de l’animateur et humoriste a été mis hors service au cours de la nuit de mercredi à jeudi. « Par respect pour mes collaborateurs et employeurs qui me côtoient pendant des années et parce que je veux leur éviter de répondre à une avalanche de questions des journalistes, je me retire de tout », a-t-il déclaré. La page Facebook de l’humoriste n’était plus active jeudi matin.

Ses spectacles annulés

Philippe Bond était attendu les 5 et 6 août au Théâtre Alphonse-Desjardins, à Repentigny. Ces représentations, comme la quasi-totalité de la tournée Merci, sont produites par evenko. Il était toujours possible d’acheter des billets sur le site du promoteur jusqu’en mi-journée. La page consacrée à l’humoriste est désormais inactive.

Malgré nos demandes d’entrevue répétées, evenko n’avait toujours pas répondu à La Presse au moment où ces lignes étaient écrites. L’entreprise a toutefois publié un communiqué en début d’après-midi, jeudi. « Les allégations formulées contre Philippe Bond sont traitées sérieusement par l’organisation à la lumière de sa Politique contre le harcèlement qui prévoit une tolérance zéro face à des gestes qui en constituent », peut-on lire.

L’entreprise, propriété du groupe CH, annonce que tous les spectacles de l’humoriste sont annulés.

Sur les ondes de 98,5 FM jeudi, le vice-président aux contenus francophones du Groupe Juste pour rire, Patrick Rozon, a d’ailleurs reconnu que l’organisation avait déjà commencé à exclure Philippe Bond de sa programmation depuis 2020, en raison de rumeurs qui circulaient à son sujet. « On l’entendait. Et ce qui s’est passé, c’est que dans la programmation, tranquillement, il était moins là. Et nous, on avait fait ce choix-là », a-t-il dit, en ajoutant que certains humoristes ne voulaient plus se produire à ses côtés. « Là, les gens ont parlé officiellement. On va laisser la justice faire les choses ensuite. »

« Groupe Juste pour rire tient à souligner le courage des huit femmes qui ont témoigné [jeudi] matin dans l’article de La Presse », a ajouté Charles Décarie, président-directeur général du Groupe juste pour rire, dans une déclaration officielle qu’il nous a fait parvenir. Il rappelle que l’entreprise possède un code de conduite et une politique contre le harcèlement rendant répréhensibles les mauvaises conduites. « Nous ne tolérons aucun comportement de la sorte et nous souhaitons tous ne plus jamais lire que de tels comportements ont lieu dans notre industrie. »

Depuis un moment déjà

ComediHa!, créateur et producteur d’émissions, de spectacles et d’un festival d’humour, a aussi indiqué qu’elle avait pris ses distances avec l’humoriste de 43 ans bien avant nos révélations. « Nous ne collaborons plus avec Philippe Bond depuis un moment déjà », explique François Lapointe, 1er vice-président et chef d’exploitation de l’entreprise, dans un courriel transmis à La Presse.

Des personnes chez nous se sont confiées à nous et ont exprimé un malaise à travailler avec M. Bond. Notre responsabilité comme employeur est d’offrir un environnement de travail sain et exempt de tout inconduite, harcèlement ou violence.

François Lapointe, 1er vice-président et chef d’exploitation de ComediHa!, dans un courriel transmis à La Presse

ComediHa! précise qu’il appartient à chaque personne de dénoncer publiquement ou non de tels gestes ou de porter plainte. « Nous devons respecter leur décision, dit M. Lapointe. Notre rôle est de leur offrir notre soutien, ce que nous avons toujours fait et ce que nous continuerons de faire. »

Philippe Bond devait se produire les 22 et 23 juillet au Château Madelinot, aux Îles-de-la-Madeleine. Les deux évènements, organisés par KJ Productions, ont été annulés.

« Comme vous vous en doutez, nous n’étions pas au courant de ce qui se passait, a réagi la productrice Kloé Jiangzhu Arseneau, sur Facebook. KJ Productions inc. n’a évidemment rien à voir avec toute cette situation, et surtout, nous n’avons aucun lien avec cette affaire. Jamais nous n’encouragerons toutes formes d’inconduites sexuelles ou autres méfaits déplacés. »

« Ça fait plusieurs années que je refuse d’avoir Philippe Bond sur mes productions. L’article de ce matin explique cette décision », a par ailleurs tweeté jeudi le producteur du Bye bye et de Tout le monde en parle, Guillaume Lespérance.

Le maire de la municipalité de Lac-des-Écorces, dans les Laurentides, où une plaque en l’honneur de Philippe Bond avait été posée en 2013 dans le cadre du tournage de l’émission La petite séduction, a indiqué qu’il ne comptait pas pour l’instant la faire enlever, selon ce qu’a rapporté CFLO Nouvelles.

Mais si l’humoriste était un jour déclaré formellement coupable, la plaque serait à ce moment retirée, a indiqué le maire Pierre Flamand, toujours à CFLO Nouvelles.

Avec Ariane Krol et Patrick Lagacé, La Presse

« Des Philippe Bond, il y en a encore dans plein d’autres milieux »

La porte-parole du collectif Québec contre les violences sexuelles, Mélanie Lemay, a souligné jeudi que la publication des allégations contre Philippe Bond devait être applaudie. « C’est un soulagement pour nous que cette histoire-là finisse par sortir. Ça fait longtemps que son nom circule sur les réseaux sociaux », a-t-elle rappelé.

« Ça fait des années qu’il y a une espèce d’omerta, que même si ça se discute dans les corridors, et que son nom circule, rien n’a été fait pour l’encadrer. Il y a une omerta. Et en tant que société, je pense qu’il faut qu’on constate qu’on a un profond mal-être à confronter les gens face à leurs comportements d’agression », a poursuivi Mme Lemay.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Mélanie Lemay, porte-parole du collectif Québec contre les violences sexuelles

« Des Philippe Bond, il y en a encore dans plein d’autres milieux », a encore insisté la porte-parole du collectif, en se disant fière des femmes qui ont témoigné.

Au Réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), la coordonnatrice au soutien organisationnel, Karine Gagnon, est du même avis. « Ce sont des femmes qui sont courageuses de dénoncer publiquement. Ce n’est jamais facile de dénoncer ce crime-là qui se produit dans l’intimité. Souvent elles ont peur de ne pas être crues, avec raison. Pour elles aujourd’hui, c’est une forme de reprise de contrôle. »

Des dénonciations comme ça, on l’a vu par le passé, amènent parfois des vagues de dénonciations. Est-ce qu’on peut penser ici qu’il y aura un effet d’entraînement pour d’autres victimes ? Peut-être.

Karine Gagnon, coordonnatrice au soutien organisationnel au CAVAC

« Pour certaines, de voir les choses médiatisées, ça peut inciter à dénoncer, ou minimalement à aller chercher des services », poursuit Mme Gagnon.

François Legault réagit

« Je ne veux pas juger ce cas-là, parce que je n’en connais pas plus que ce que j’ai vu dans les médias, mais c’est très préoccupant », a réagi le premier ministre François Legault en marge d’une conférence de presse pour annoncer deux candidatures caquistes, jeudi matin à Montréal.

C’est très préoccupant et moi, j’invite toutes les victimes à dénoncer. Je comprends que ça peut être difficile. On a mis en place un tribunal spécialisé pour les victimes, mais il faut dénoncer ces actes-là. Ça n’a pas de place en 2022 dans notre société.

François Legault, premier ministre du Québec

« Dénoncer une inconduite/agression sexuelle commande énormément de courage. D’autant plus à visage découvert. Courage et respect aux victimes », a quant à elle tweeté la députée libérale Marwah Rizqy.

Plaintes à la police

Rappelons que deux des femmes qui ont accusé Philippe Bond d’inconduites sexuelles et qui ont été interrogées par La Presse avaient voulu porter plainte à la police. Ces démarches se sont avérées infructueuses, relatent-elles.

Outre Lisa Matthews, qui entend maintenant porter plainte contre l’humoriste, une autre jeune femme a indiqué, sous le couvert de l’anonymat, avoir fait une déposition dans un poste de quartier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), dans Villeray, mais celle-ci n’aurait pas non plus été prise au sérieux.

Sans commenter le cas précis de cette jeune femme, le SPVM a réagi jeudi en se disant « soucieux de la qualité des services offerts aux citoyens » et en regrettant « toute situation où un citoyen ait pu se sentir lésé ».

« Lorsqu’un évènement nous est rapporté, il est de notre devoir de procéder à des vérifications. Le SPVM est conscient qu’il peut être difficile pour une victime de dénoncer une situation ou une agression à caractère sexuel », a indiqué une porte-parole du corps policier, Caroline Labelle, par courriel.

« Plusieurs mesures sont en place pour offrir le meilleur soutien possible aux victimes, poursuit-elle. Les patrouilleurs travaillent en étroite collaboration avec des membres du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) et ont également accès à une ligne d’urgence active 24 h sur 24, 7 jours sur 7, pour toute plainte de nature sexuelle, afin d’avoir les conseils d’enquêteurs spécialisés de la Section des agressions sexuelles. »

Avec Ariane Krol, Patrick Lagacé et Vincent Larin, La Presse