Grâce à sa formule de laissez-passer permettant d’assister à plusieurs spectacles au cours de la même semaine, voire de la même soirée, le Zoofest est l’occasion idéale pour entrer à l’aveuglette dans une salle et courir la chance d’y découvrir son nouvel humoriste préféré. Compte rendu de notre petite virée au festival, qui se poursuit jusqu’au 31 juillet.

Mégan Brouillard a déjà, malgré sa jeune vingtaine, ce que plusieurs humoristes mettent des années à peaufiner : un personnage de scène à la fois singulier et limpide. Remarquée grâce à ses vidéos sur TikTok, la nouvelle venue s’exprime avec un mélange de truculence digne du chum à Chabot de Fabien Cloutier et d’aplomb propre à une femme d’âge mûr, qui se fout depuis longtemps de ce que les autres pensent d’elle.

Elle aurait, avant de passer par les bancs de l’École nationale de l’humour, personnifié pendant quelques étés l’idiote du village au Village québécois d’antan de Drummondville, ce qui — qu’elle ne le prenne pas comme une insulte – n’est pas si étonnant que ça.

Mégan Brouillard ne joue pourtant pas exactement une idiote, mais plutôt une femme qui drape sa perspicacité et son exaspération face à l’idiotie des autres dans de nombreux appels au gros bon sens.

Vu vendredi soir dernier, son spectacle Chiendent brille par la verdeur de la langue dans laquelle ses numéros sont sculptés, alliage d’expressions abracadabrantes et de régionalismes qui lui permet de parler avec la même râpeuse élégance de la stupidité de ses frères ou d’un premier rendez-vous romantique avec un maréchal-ferrant.

Son numéro raillant l’arrogance des diplômés d’écoles privées met efficacement en lumière la manière dont les disparités économiques configurent encore les rapports sociaux, sans que l’humoriste ait l’air de celle qui déballe sa dissertation sur la lutte des classes.

Bien que jamais désigné comme tel, un indéniable féminisme imprègne plusieurs de ses blagues, qu’elle se désole qu’on lui ait dit dès l’enfance que « ce n’est pas beau une femme qui sacre » ou fustige le désintérêt que génère le hockey féminin (un sujet étonnant, mais très porteur). Au cœur d’une relève humoristique sur laquelle le mimétisme règne, Mégan Brouillard peut déjà se vanter d’être seule dans sa catégorie.

Entre sarcasme et esprit de bottine

« Il y a-tu des nazis dans la salle ? » P-O Forget adore attaquer un sujet en posant au public une question odieuse, tout en faisant semblant qu’il n’y a rien de plus standard comme entrée en matière. Avec son look de musicien stoner rock, l’homme aux allures de doux Sasquatch s’exprime sur un ton caoutchouteux, tout en relâchement et en diphtongaisons, qui rappelle son ami Yannick De Martino.

Mais différence majeure entre les deux humoristes : là où De Martino emploie l’humour absurde afin de faire ressortir la redondance de certains procédés comiques, Forget met l’humour absurde au service d’une série de réflexions sociopolitiques sur l’inflammabilité du débat public, la crise immobilière ou la précarité financière des gens de sa génération.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

P-O Forget, jeudi soir dernier au Zoofest

Intitulé Ma meilleure heure, son premier spectacle, vu jeudi soir dernier, se situe entre sarcasme acéré et esprit de bottine. Son outil le plus effectif ? Ne jamais trop avoir l’air de mesurer toutes les ramifications des phrases qui lui sortent de la bouche.

Archétype de l’attachant fainéant sur qui les illuminations tombent après avoir inhalé une ou deux bouffées de tabac d’artiste, le personnage de scène de P-O Forget compte parmi ceux qui incarnent avec intelligence la capacité de la nouvelle garde à arrimer le niaiseux et le social.

Truites d’avenir

Sinem Kara, Suzie Bouchard, Rachelle Elie, Marylène Gendron, Garihanna Jean-Louis. Cette édition de Zoofest s’annonçait, sur papier, comme celle du triomphe des femmes. Une prédiction que viennent confirmer Véronique Isabel Filion et Jessica Chartrand grâce à leur spectacle Truites, vu vendredi soir dernier, durant lequel elles se partagent le micro 30 minutes chacune.

PHOTO TIRÉE DU SITE POINTDEVENTE. COM

Véronique Isabel Filion et Jessica Chartrand

Judicieuse formule, en ce qu’elle donne assez de temps à ces recrues du rire pour bien camper leur univers, même si elles n’ont pas encore assez de matériel pour tenir une heure sous les projecteurs.

Avec une engageante candeur et une fragilité assumée, Véronique Isabel Filion a habilement brisé la glace en brodant autour du thème de l’image corporelle, bien qu’en se gardant de surjouer l’autodérision. Jessica Chartrand habite quant à elle la scène avec l’assurance d’une vieille routière et parvient à renouveler des sujets comme l’homophobie, tout en déconstruisant divers stéréotypes coriaces.

Elles sont toutes les deux la preuve que l’avenir de l’humour québécois est féminin.

Chiendent de Mégan Brouillard, le 19 juillet à 21 h au Cabaret du 4e du Monument-National

Ma meilleure heure de P-O Forget, le 18 juillet à 21 h au Cabaret du 4e du Monument-National

Truites de Jessica Chartrand et Véronique Isabel Filion, le 19 juillet à 19 h 30 au Cabaret du 4e du Monument-National

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