L’encre de la décision de la Cour d’appel du Québec déboutant Mike Ward n’était pas encore sèche que l’avocat de l’humoriste, Me Julius Grey, annonçait qu’il ferait appel en Cour suprême.

Reste à voir si la Cour suprême va accepter le pourvoi. Je l’espère. Et j’espère que Mike Ward va gagner en Cour suprême.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’humoriste Mike Ward en janvier dernier

Sans trop tomber dans les détails technico-juridiques, il faut se demander si le Tribunal des droits de la personne – où Jérémy Gabriel a fait valoir ses droits contre Ward – est le bon forum pour sanctionner les propos d’un humoriste.

Jérémy Gabriel a vu la Cour d’appel maintenir la décision du Tribunal des droits de la personne, 2-1. C’est-à-dire qu’une juge a exprimé sa (longue) dissidence : 44 des 64 pages de la décision sont monopolisées par les objections de la juge Manon Savard.

Pour la juge Savard, la question de la compétence du Tribunal des droits de la personne pour trancher un litige comme celui qui oppose un citoyen (Jérémy Gabriel) à un humoriste (Mike Ward) n’est absolument pas évidente. Pour les deux juges de la majorité, si.

C’est ici que la Cour suprême ferait œuvre utile en tranchant. Est-ce que le Tribunal des droits de la personne est le forum approprié pour réparer l’outrage à l’honneur des individus ?

Parce que les questions de liberté d’expression sont le domaine de la Cour supérieure, au Québec.

Pour déterminer s’il y a eu diffamation et atteinte à l’honneur d’une personne, la Cour supérieure applique un certain nombre de critères et de tests tirés de la loi et de la jurisprudence… que le Tribunal des droits de la personne n’applique pas.

Au fond, ce que la Commission des droits de la personne a fait en portant plainte au Tribunal des droits de la personne pour discrimination au nom du « petit Jérémy », c’est passer par la porte de la discrimination pour légiférer sur la dignité de M. Gabriel… Sauf que la dignité et la diffamation ne sont pas du ressort du Tribunal des droits de la personne.

Je cite la juge Savard, page 12 : « À mon avis, bien que le Juge souligne à différentes reprises l’importance de ne pas confondre la diffamation et la discrimination, son analyse, avec égards, ne permet pas toujours de faire les distinctions qui s’imposent. »

Et à la page 42 : « Toutefois, je propose que la Charte, à son article 10, circonscrit la discrimination et, par conséquent, la compétence du Tribunal (des droits de la personne). »

Traduction : on a peut-être utilisé le prétexte de la discrimination (contre Jérémy Gabriel) pour traiter une affaire de diffamation (par Mike Ward).

La juge Savard, dans sa dissidence, rappelle aussi l’arrêt Diffusion Métromédia CMR c. Bou Malhab, où la Cour suprême a décrété que l’article 15 de la Charte des droits et libertés ne saurait être une nouvelle forme de mise à l’index : « Bref, on ne peut agir selon nos convictions discriminatoires, mais on peut toujours les exprimer, sans franchir un certain seuil. »

La distinction entre « dire » quelque chose de discriminatoire et « agir » de façon discriminatoire est capitale dans l’affaire Ward c. Gabriel : en disant des choses discriminatoires contre une personne handicapée, est-ce que l’humoriste fait de la discrimination contre elle ?

Traduction : dire des choses discriminatoires dans un contexte d’humour – dans un contexte d’exagération hyperbolique –, est-ce la même chose que de refuser un emploi (agir de façon discriminatoire) à une personne handicapée ?

La Commission des droits de la personne, le Tribunal des droits de la personne croient que oui. La Cour d’appel vient de leur donner raison.

La Cour d’appel vient d’ouvrir une porte, et derrière cette porte, il y a une pente glissante pour tous ceux qui font usage de leur liberté d’expression, liberté qui inclut – de façon balisée – le droit de dire des sottises…

Et Dieu sait que les choses dites par Ward sur Gabriel l’étaient, sottes.

Le hic, ici, c’est que le contexte dans lequel les paroles de Mike Ward ont été dites a été évacué par le Tribunal des droits de la personne. En Cour supérieure, dans une bonne vieille poursuite en diffamation et en atteinte à l’honneur, le contexte particulier de l’humour aurait été pris en compte dans un écosystème qui applique des critères bien précis destinés à protéger non seulement la liberté d’expression de Mike Ward, mais la liberté d’expression de tous les Canadiens.

Et peut-être même qu’après la bonne analyse de ces critères, Mike Ward aurait tout de même perdu.

J’aurais juste préféré que cela soit décidé par un tribunal qui a une réelle expertise – et une réelle appréciation – de la liberté de parole. Avec égards, je trouve que le Tribunal des droits de la personne n’a pas une grande expertise en matière de droit de parole.

Pour refermer la porte qui donne sur la pente glissante de la censure et de l’autocensure, j’espère que la Cour suprême du Canada va accueillir l’appel de Mike Ward.

Et lui donner raison.