Un humoriste qui aime la critique, ça n’existe pas, même ceux qui disent aimer la « critique constructive ». En tout cas, je n’en ai jamais rencontré. Tous les artistes veulent être aimés, c’est leur névrose, mais les humoristes, en plus, veulent faire rire, ce qui n’est pas de la tarte quand ils pratiquent un humour moins consensuel.

Parmi les humoristes, j’ai toujours soupçonné Jean-François Mercier d’être l’un des plus hypersensibles à ça. Contrairement à son ami Mike Ward, qui est plus dans l’esprit « vous ne m’aurez pas, mes maudits », Jean-François Mercier semble du genre à faire un pas de côté pour panser ses plaies et développer de la bile. Après avoir été pris à partie sur les réseaux sociaux dans les dernières années pour avoir commis des blagues jugées douteuses, il a créé un groupe Facebook privé pour ses fans consentants, « pas coincés du cul », comme il l’a annoncé de façon assez raide, et a lancé l’an dernier, sans tambour ni trompette, un nouveau show intitulé En cachette. Aucune promotion autre que sur sa page Facebook (il fuit Twitter et Instagram), dans un circuit de petites salles. Et pour l’instant, ça fonctionne plutôt bien. Enfin, cerise sur le gâteau, il anime une nouvelle émission à Z Télé, Rire sans tabous, une émouvante série documentaire qui dévoile précisément une sensibilité qu’on ne lui a pas encore beaucoup vue à la télé – nous y reviendrons.

Le spectacle En cachette est né il y a plus d’un an après une résidence de création à Gatineau. Mercier s’est rendu compte qu’il tenait un show, mais comme les grandes salles sont réservées longtemps à l’avance, il n’avait pas envie d’attendre deux ans avant de le présenter. Il a failli le proposer à des cabanes à sucre et des hôtels, mais son agente lui a signifié que cela allait être perçu comme de la concurrence et nuire à sa carrière. Ils ont donc cherché pour trouver des disponibilités dans les salles plus modestes du réseau.

C’est son spectacle le plus intime, souligne de son propre aveu Jean-François Mercier, que j’ai rencontré dans les bureaux d’Avanti. Il n’était pas certain que c’était son plus drôle — « je ne suis pas doué pour le bonheur », dit-il —, mais ses fans rient plus qu’il ne l’aurait espéré. 

J’y parle d’affaires que je suis content de partager avec juste des vrais fans. Je considère que ces gens-là savent plus qui est le vrai Jean-François Mercier. Beaucoup de gens me disent que c’est plus que de l’humour. Soit ça les rend heureux, ou soit ça leur redonne de l’espoir. Je parle de comment je me trouve off, que je ne sais pas comment me positionner dans la société.

Jean-François Mercier

Craint-il pour son avenir ? « Je parle de ma peur d’être fini, c’est sûr que ça m’inquiète, répond-il après un silence. Moi, je ne me suis jamais vu prendre une retraite de l’humour. »

À seulement 52 ans, Jean-François Mercier se trouve vieux. « Je me reconnais de moins en moins dans la société dans laquelle on vit. Mes valeurs sont extrêmement confrontées. Je sais que je suis vieux parce que je pense comme un vieux. Les jeunes me font capoter. Tsé, YOLO… Mais YOLO, faut travailler aussi, faut te forcer des fois à bien faire les affaires ! Comme je me sens confronté dans mes valeurs, c’est sûr que je ne suis pas porté à me tenir à une place où je trouve que je suis zéro pertinent. Je ne prends plus part à ça. Parce que je me trouve off. »

Je lui demande si le personnage du Gros Cave qu’il a créé n’est pas devenu lourd à porter. « Mais en même temps, les gens qui viennent me voir, c’est ce qu’ils veulent, dit-il. Je n’ai pas le choix de leur donner ce qu’ils veulent, mais je n’ai pas le choix non plus de ne PAS leur donner ce qu’ils veulent. Je dois les surprendre, ce n’est pas évident. Il y a encore des gens qui me disent que j’aime me faire traiter de gros cave… Mon premier Gala Juste pour rire, c’était en 2005. J’ai pris une place qui était disponible avec ce personnage, et si elle était disponible, c’est parce que personne ne la voulait, pour une crisse de bonne raison : elle était inconfortable. Ensuite, c’est sûr que tout ce qu’on te propose est proche de ça. »

Rire avec les autres

Alors quand on lui a proposé l’animation de Rire sans tabous, Jean-François Mercier n’a pas hésité une seule seconde. « J’étais même prêt à le faire gratuitement. » Dans cette série documentaire, l’humoriste passe trois jours dans un chalet avec des gens dont il est difficile de rire, croit-on. Des personnes de la diversité culturelle, condamnées par des maladies incurables, de la communauté LGBTQ ou vivant avec un handicap. Ils jasent, font des activités, et ensuite, Mercier les invite au Lion d’Or pour un stand-up comic sur eux. Par exemple, il ose se plaindre d’une grosse grippe devant des gens qui n’ont plus beaucoup de temps à vivre…

« L’émission sur les maladies incurables est probablement l’une des meilleures, croit-il. On rit beaucoup et on pleure beaucoup. Ça a l’air d’avoir été dur à tourner, mais sérieusement, c’était un plaisir total. On a eu tellement de fun. C’était tellement léger, même si le sujet était lourd, qu’à la fin, je me demandais si j’avais fait la job comme il faut ! »

Jean-François Mercier adore le format de cette émission qui provient d’un concept belge. « J’ai vraiment été content qu’on puisse voir que j’avais la capacité de faire ça. Ce que je trouve formidable dans ce projet, c’est de voir la nature de l’humour dans son sens premier. Passer un message qui ne passerait pas autrement et tisser des liens. On va loin et on est chien avec nos amis parce qu’ils font partie de la gang et qu’on les aime. Moi, j’arrive avec mes préjugés et mes valeurs, mais je mets ça de côté parce que ce n’est pas une émission de débat. »

« Après trois jours dans un chalet, veux, veux pas, on se rapproche, et ce ne sont plus des étrangers, mais des êtres humains. En tout cas, je sens que cela a fait de moi un meilleur être humain. »

C’est paradoxal, car on peut ranger Mercier du côté de ceux qui affirment « qu’on ne peut plus rien dire », et pourtant, Rire sans tabous prouve exactement le contraire. Peut-être que Jean-François Mercier apprend à aimer… être confronté, finalement.

Rire sans tabous, dès le 4 septembre, 21 h, sur Z Télé