Patrick Rozon dirige son premier Festival Juste pour rire à titre de vice-président au contenu francophone, jusqu’au 28 juillet. Un défi que l’ancien maître d’œuvre de Zoofest – et petit-cousin de Gilbert Rozon – voit comme le début d’un cycle.

En parcourant la programmation de Juste pour rire, on a vraiment l’impression d’un renouveau. D’un festival qui repart sur de nouvelles bases, avec beaucoup de jeunes, notamment. C’est l’esprit de Zoofest qui traverse jusqu’au « grand » festival ?

Oui, absolument. Quand les nouveaux propriétaires m’ont approché en juillet dernier pour m’offrir ce poste-là, une des choses qu’ils m’ont demandées, c’est d’insuffler à Juste pour rire ce que j’ai insufflé à Zoofest. Quand je suis arrivé en août, il y avait cette idée de « contemporanéiser » le festival, qui a 37 ans. Parce que « rajeunir », je n’aime pas ça. Il y a des shows dont le public a 40, 50, 60 ans et c’est très bien. Juste pour rire est un festival qui peut oser, tout en proposant des spectacles aboutis. Zoofest va demeurer un laboratoire.

Il faut trouver un équilibre entre renouveler la formule et ne pas s’aliéner son public naturel…

Exactement. Avec les galas, les cartes blanches, on a rajeuni les animateurs : c’est Jay Du Temple, Kat Levac, etc. Ce qui est intéressant, c’est que ça attire un nouveau public, qui ne venait pas à Juste pour rire et qui était probablement à Zoofest. Je me suis questionné sur ce qu’était le futur de l’humour en festival, maintenant qu’il y a de la compétition ici et ailleurs, et que l’échiquier a changé. Quelle est notre place là-dedans ? Comment rester un leader et montrer l’exemple ? On a décidé de programmer en fonction de « niches », c’est-à-dire de nouveaux publics. Il y a autant des spectacles plus populaires qu’un duo comme Aba & Preach, qui est suivi par 30 000 fans dévoués. On va diversifier aussi. On n’était pas très diversifiés. On gardait le même concept de star-système, avec des têtes d’affiche, et la relève, on l’envoyait à Zoofest. Ce n’est plus ça.

Le festival sera davantage à l’image de Montréal ?

Oui. C’est ce qu’on veut. On accueille deux millions de visiteurs. Moi, mon rêve, c’est que dans trois ans, tout soit exclusif dans le festival. Je veux créer de nouveaux shows avec des auteurs, des concepteurs, des humoristes, des metteurs en scène, et les amener en tournée dans le monde…

Avec une primeur à Montréal…

Toujours. Mais je pense que le modèle va changer. C’est ce qui est intéressant. En ce moment, dans les festivals d’humour, il y a quelques créations et beaucoup de « booking » [de spectacles d’artistes en tournée]. C’est bien. Sauf que l’artiste, on peut le voir à Brossard, à Québec, à Drummondville, partout. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau à Juste pour rire ? Rien. Je pense que ce qui va nous démarquer à l’avenir, c’est l’exclusivité. En ce moment, je propose à des artistes de bâtir des shows pour 2021. On a le temps, on le fait bien. C’est très excitant. Mais pour l’an 1, mon chantier principal était le volet extérieur : comment redonner ses lettres de noblesse à un festival qui, à la base, était naturellement à l’extérieur et familial ?

Il y a un an ou deux, plusieurs se demandaient si cette entreprise allait survivre. Il fallait faire quelque chose de nouveau…

Absolument. Il fallait faire quelque chose. Ce qui s’est passé il y a deux ans a fait en sorte que les choses ont bougé beaucoup plus vite, mais il aurait fallu faire ces changements-là de toute manière. Il y a une nouvelle équipe de direction, un nouveau propriétaire, il fallait une nouvelle manière de voir et de faire les choses. Il a aussi fallu que les employés embarquent et que l’on défasse des mécanismes et des mentalités.

Je regarde les programmations des festivals d’humour cet été et il y a d’un côté le Grand Montréal comique, qui semble perpétuer une tradition qui était autrefois celle de Juste pour rire, et de l’autre, Juste pour rire, qui était perçu comme un paquebot immuable, qui semble être devenu, par la force des choses, un peu plus avant-gardiste. C’est ironique, non ?

[Il hésite.] Maintenant qu’il y a une compétition, qui est positive, je pense que ça nous force à réfléchir à ce qu’est notre terrain de jeu et à ce qu’on peut offrir aux festivaliers. Le festivalier a le même 50 $ à dépenser en humour en juillet. Quand t’es tout seul, il y a des automatismes. On était déjà dans une amorce de changement. Avec l’équipe en place, on a décidé de se faire confiance. On a quand même une expertise et des partenaires qui sont forts. Mais je reste dans le doute perpétuel. C’est le début du nouveau festival. Est-ce que les festivaliers vont embarquer dans cette nouvelle manière de faire ? Est-ce qu’ils vont dire que ce n’est plus le Juste pour rire qu’ils aimaient ? Est-ce que la marque est entachée ? Est-ce que les gens nous font confiance ? Est-ce qu’ils vont être contents ? Ça fait peur un peu !

Est-ce que l’incertitude des deux dernières années a été un moteur ? Quand le nouveau propriétaire est arrivé, plusieurs ont craint que Just for Laughs prenne toute la place et que Juste pour rire devienne marginal dans le groupe…

Effectivement, il y a eu plusieurs questionnements. T’as une entreprise américaine qui est minoritaire, mais à 49 %. Tu te demandes si la vision sera la même. Sincèrement, je me suis posé la même question. Quand on m’a approché, j’ai voulu savoir ce qu’on attendait de moi. Je n’étais pas intéressé à ce qu’on devienne un festival de « booking ». Les nouveaux propriétaires m’ont dit que s’ils venaient me chercher, c’est parce qu’ils me faisaient confiance. Ils ont acheté une entreprise qui a une expertise et ils sont là pour nous aider à aller plus loin. Je me suis bien sûr demandé si c’était trop beau pour être vrai. S’ils allaient vouloir un retour immédiat sur leur investissement. Est-ce que c’est de la bullshit ? Depuis huit mois, après plusieurs C.A., je sens vraiment qu’il y a une synergie et qu’on va tous dans la même direction. Je me ramasse avec une certaine carte blanche et un terrain de jeu où je peux oser des choses.

L’avenir de Juste pour rire a été remis en question dans la foulée du mouvement #metoo. Qu’est-ce que l’entreprise fait aujourd’hui pour s’assurer que ce qui est arrivé ne se reproduise pas ?

On prend ça très au sérieux. Je veux préciser que ce n’est pas que ce n’était pas pris au sérieux avant ! Rapidement, les gens ont pris une personne et l’ont identifiée à l’ensemble de l’entreprise. On a mis en place un code de conduite, un code d’éthique, qui se traduit à l’interne, à l’externe avec les artistes, et dans tous nos festivals. Ça concerne principalement le harcèlement, et pas seulement sexuel. Il y a des gens aux ressources humaines qui ont été engagés pour ça. En six mois suivant la crise, on avait mis en place ces mécanismes. Si un artiste fait quelque chose qui est inapproprié, moi, j’ai le pouvoir de le sortir. On prend ça très au sérieux. Mais jamais au point de faire une chasse aux sorcières. On fait ça selon les règles de l’art et de la loi. On ne prend pas ça à la légère.