Depuis le début de l’hiver, de nouveaux arrivants qui fréquentent l’école secondaire Georges-Vanier y suivent des ateliers humoristiques donnés par l’École nationale de l’humour (ENH). Un projet-pilote que l’ENH et la Commission scolaire de Montréal espèrent reconduire dès l’an prochain, et peut-être même étendre à l’ensemble des classes d’accueil de l’établissement.

Il ne restait que quelques jours aux 35 élèves de l’école secondaire Georges-Vanier avant de présenter leur spectacle devant leurs parents et amis à l’École nationale de l’humour (ENH) quand La Presse est venue les visiter.

Sur scène, les nouveaux arrivants de 12 à 18 ans prennent leur courage à deux mains pour s’exprimer en public, mais surtout pour faire rire en français. Alors qu’ils viennent tout juste d’être déracinés et qu’ils ne maîtrisent pas encore tout à fait la langue de leur terre d’accueil, ils prennent pour la première fois la parole de manière décomplexée grâce à l’humour.

Pour Réginald Fleury, conseiller pédagogique de l’école Georges-Vanier et instigateur du projet-pilote, les ateliers humoristiques de l’ENH ont été un réel succès qui mérite d’être répété.

« Les ateliers sont bénéfiques à l’apprentissage du français et à l’intégration, mais aussi dans un objectif presque thérapeutique par l’humour. Ces jeunes vivent des deuils, des déchirements. Mais les chocs culturels créent aussi des situations loufoques, indique Réginald Fleury. Les ateliers leur ont permis de prendre du recul sur des situations qui les bousculent et les traumatisent en y mettant une lumière humoristique. »

« Lors du spectacle, les petites blagues sur les premières tempêtes de neige, l’accent québécois, les drôles de mots en joual, les premiers cours de français où les élèves ne comprennent rien sont les sketches où ils ont le plus réagi, car cela trouvait écho chez eux. »

Ce sont des artistes comme Mehdi Bousaidan ou Sugar Sammy qui ont fait germer dans la tête de M. Fleury l’idée d’utiliser l’humour dans les classes d’accueil. Mais c’est sa rencontre avec Yves Trottier, directeur pédagogique de l’ENH, qui a permis de concrétiser ce projet.

« Réginald Fleury a trouvé les fonds et les volontaires pour y arriver, et ça s’est rapidement enclenché. C’est le métier d’humoriste qu’on transmet à plus petite échelle [à ces jeunes] en leur demandant de mettre leur unicité de l’avant. En passant par l’humour, tu te permets aussi de dire des choses que tu n’aurais pas partagées normalement », explique Yves Trottier.

Des jeunes dans l’incertitude

Arrivé du Mexique en mars 2018, Ernesto Balderas Martinez a beaucoup aimé suivre les ateliers d’humour donnés par Maryvonne Cyr, enseignante à l’ENH. « Je joue un élève à la cafétéria qui utilise la carte d’un autre », indique-t-il fièrement. 

« Au début, en classe d’accueil, ça n’a pas bien été pour moi. Je venais d’arriver il y a trois semaines et j’ai commencé les cours. Je ne parlais presque pas français. Je suis venu à Montréal tout seul avec ma sœur, mais elle a été déportée », raconte-t-il.  

« Je n’ai aucune famille ici, mais je voulais avoir une meilleure vie. Les ateliers m’ont aidé à me faire des amis. On parle beaucoup, et j’apprends de nouveaux mots dans les ateliers. »

En attente de son statut de réfugié, il ignore encore s’il pourra poursuivre sa scolarité l’an prochain. « Je suis inquiet. Je ne sais pas ce que je vais faire, si je vais rester ici, aller à l’école des adultes… J’aimerais continuer à étudier. C’est la chose la plus importante pour moi. Je ne sais pas quel métier je veux faire, mais j’aime beaucoup les mathématiques. »

Quand il n’est pas en classe, Ernesto s’occupe de l’intendance de son immeuble. Il peut compter sur l’aide d’organismes communautaires, mais surtout sur celle de sa professeure, Julie Racine. « Julie est ma grande sœur. Elle m’aide beaucoup avec l’école et mes problèmes en général », confie-t-il.

L’enseignante responsable de la première année de classe d’accueil à l’école secondaire Georges-Vanier est particulièrement touchée par le sort d’Ernesto et de nombreux autres élèves dans sa situation. 

« Dernièrement, on a eu des vagues de réfugiés sans papiers. Ils arrivent avec des problèmes psychosociaux. Ils ont vécu beaucoup de choses dans leur pays, mais aussi la sous-scolarisation, et ils ont un parcours migratoire complexe. Cette année, c’est vraiment difficile. » 

« Dès qu’ils ont 18 ans, si on les sort de la classe d’accueil, ils n’ont accès à aucune commission scolaire. En juin, Ernesto a encore un point d’interrogation devant lui. L’idéal, dans des cas humanitaires comme celui-là, c’est que la directrice accepte de les garder à l’école, sachant qu’ils ne seront pas diplômables tout de suite. L’État ne le financera pas pour étudier ; l’école doit absorber les frais. On accepte des enfants, mais ils sont au bord du précipice à 18 ans. De les voir comme ça, parler en français et s’organiser, c’est une réussite ! », explique l’enseignante, qui perçoit également les ateliers d’humour comme un outil très intéressant de socialisation.

« J’ai 18 ans, mais je suis encore en classe d’accueil, estime quant à lui Hanine Idrici, un jeune Algérien débarqué à Montréal en tant que demandeur d’asile en juin dernier avec sa famille, dont sa sœur Anays avec qui il est en classe. Mais ce n’est pas grave, car j’apprends le français. »

« On a rencontré plein de gens qui viennent de l’international, comme nous. L’humour m’aide beaucoup. C’est difficile au début quand tu viens de changer de pays et que tu laisses tes amis derrière toi. Mais ça s’améliore avec le temps. »

Pour leur enseignante Jacynthe Latouche, responsable de la classe d’accueil de deuxième année, les ateliers sont aussi une belle façon de transmettre la culture québécoise. « Nous sommes un peuple qui aime l’humour. Ça a également beaucoup développé la confiance dans ma classe. Des élèves très renfermés et timides ont fini par avoir du fun et se laisser aller ! J’aurais fait des ateliers toute l’année », observe-t-elle.

« C’est un succès qui en vaut la peine et qui mérite d’être étendu à plus de classes. Mais l’ENH dispense un service payant, alors il faut en avoir les moyens », conclut le conseiller pédagogique Réginald Fleury, qui espère que les budgets de l’école lui permettront de répéter et de diffuser le projet dans toutes les classes d’accueil.