Des humoristes de la relève affirment que le milieu de l’humour reste gangréné par la culture du viol, même deux ans après le mouvement mondial #moiaussi. En mettant sur pied Pour les prochaines, les jeunes femmes souhaitent « éradiquer » les inconduites sexuelles de l’industrie, et tendent la main aux acteurs importants du monde comique afin qu’ils s’allient pour poser des actions concrètes.

La petite salle où la conférence de presse se déroule est remplie. Une poignée de journalistes, mais surtout quelques hommes et beaucoup de femmes membres de l’industrie de l’humour, des supporteurs de la cause de Pour les prochaines et des représentants de groupes communautaires.

À l’avant, trois femmes engagées, dont les propos seront souvent teintés par l’émotion. Les humoristes Audrey-Anne Dugas et Catherine Thomas, appuyées par Mélanie Lemay, du Regroupement des centres des femmes du Québec, prennent tour à tour la parole. Elles présentent Pour les prochaines. Un mouvement qu’elles viennent de créer afin que les inconduites sexuelles, qu’elles jugent « omniprésentes dans le milieu de l’humour  », cessent une fois pour toutes.

« On a constaté que les mesures prises après #metoo n’étaient pas suffisantes et que sur le terrain, il y avait encore énormément d’inconduites sexuelles », avance Audrey-Anne Dugas.

« Ce qui est particulier du milieu de l’humour, c’est de voir à quel point c’est banalisé. Et de voir à quel point ces inconduites sont considérées comme “des petites jokes”. »

À la lecture du manifeste de Pour les prochaines, Catherine Thomas évoque les mesures que le mouvement — encore au stade embryonnaire — réclame : la mise sur pied d’un protocole d’intervention clair qui serait utilisé par les personnes en position d’autorité lorsqu’une situation leur est signalée, des thérapies pour réhabiliter les individus reconnus problématiques, du soutien psychologique et juridique aux victimes et une banque de dénonciations anonymes parmi les humoristes et les travailleurs de l’industrie.

« Il y a des dizaines de victimes qui ne savaient plus quoi faire. Pour les prochaines, c’est pour éviter qu’il y en ait d’autres. »

Des Anonymes aux Prochaines

Ces dizaines de victimes, ce sont les personnes derrière Les Anonymes, prémisse de départ de la création de Pour les prochaines. À la fin du mois de juin, un courriel signé Les Anonymes a été envoyé à une kyrielle d’acteurs de l’industrie de l’humour, y compris des programmateurs et des cadres. Des journalistes l’ont aussi reçu. Son contenu : une liste de 21 noms d’humoristes accusés d’avoir commis des gestes à caractère sexuel. Une deuxième liste des actes reprochés — allant du harcèlement sexuel au viol, en passant par la sollicitation de faveurs sexuelles en échange d’un contrat — figurait au courriel, sans être reliée aux individus concernés.

« Il faut le prendre comme un cri du cœur. Ces femmes-là ont essayé d’aller chercher de l’aide et elles se sont fait refuser l’aide. Elles sont en détresse psychologique et c’est en désespoir de cause que cette initiative-là est née », soutien Catherine Thomas, sans nier les nombreuses maladresses commises par Les Anonymes avec l’envoi de ce courriel, jugé par plusieurs comme hautement diffamatoire.

Coup de théâtre

Le bien-fondé de cette lettre est d’ailleurs abordé durant la conférence de presse et la période de questions, décousue, émotive, est interrompue de façon inattendue par un jeune homme qui se lève au fond de la salle.

« Je suis Benoit Simard », commence-t-il, avant d’ajouter que son nom figure sur la fameuse liste. « Rassembler tous ces noms-là en dessous de ces accusations-là, c’est énorme. J’ai fini par comprendre ce que j’avais pu faire. Une fois dans une loge, j’ai eu une discussion avec une collègue… »

Vivement interrompu par une femme dans la salle lui reprochant de vouloir s’attirer les projecteurs, le jeune homme est invité par les actrices principales à poursuivre son intervention.

« Quand je l’ai appris, j’ai recherché ce que j’avais fait, durant les 24 derniers jours. Si j’avais pu le savoir autrement, j’aurais été dans une démarche pour essayer de réparer », soutient l’étudiant de l’École nationale de l’humour, dont l’essentiel du propos se voulait de souligner l’importance de mettre en place le plus de mesures possible pour éviter de faire des victimes, quelles qu’elles soient.

La directrice et fondatrice de l’École nationale de l’humour, Louise Richer, assise, silencieuse, au fond de la salle, écoutait d’une oreille attentive les récriminations faites à l’industrie au sein de laquelle elle occupe un rôle clé.

« Ça m’interpelle, toute cette situation-là. Pas juste depuis 2017 [#moiaussi]. Il y a eu, selon moi, de la proactivité. Il y a le groupe L’Aparté, qui est déjà une ressource identifiée par l’Association des professionnels de l’industrie de l’humour et l’Union des artistes. Il y a un guichet unique [pour les dénonciations anonymes], il y a un lieu où l’on peut faire part d’une expérience difficile, Il était une fois… de trop », énumère Louise Richer, soutenant que l’École nationale de l’humour gère du « mieux qu’elle peut ce grand enjeu sociétal là ».

« Mais malheureusement, on voudrait avoir une pensée magique où ces choses-là vont disparaître demain matin, et il y a un apprentissage à faire qui requiert une remise en question. […] Alors que ces voix-là s’ajoutent, tant mieux », a conclu Mme Richer, en se disant « extrêmement partante » à collaborer.