Est-on allé trop loin? Des professionnels du milieu de l'humour québécois se prononcent.

Des humoristes invités à se produire dans une prestigieuse université de Londres ont dû signer un «contrat de comportement». Cette situation est devenue un sujet chaud en Angleterre, puisque plusieurs s'insurgent contre ce qu'ils perçoivent comme le climat de censure actuel. Des professionnels du milieu de l'humour au Québec réagissent.

L'humoriste anglais Konstantin Kisin faisait partie des cinq humoristes invités à présenter un numéro lors d'une soirée caritative de l'association étudiante UNICEF on Campus de la School of Oriental and African Studies de l'University of London. II a bondi de sa chaise lorsqu'il a pris connaissance du «contrat de comportement».

Dans le courriel envoyé par l'étudiant Fisayo Eniolorunda, il est précisé que ce contrat a pour but d'assurer un environnement de «joie, d'amour et d'acceptation» pour tous.

«En signant ceci, les humoristes acceptent notre politique de tolérance zéro envers le racisme, le sexisme, les discriminations fondées sur la classe sociale, l'âge et le handicap, ainsi que l'homophobie, la biphobie, la transphobie, la xénophobie, l'islamophobie, l'antireligion et l'anti-athéisme». - Extrait du contrat de l'association étudiante

Konstantin Kisin a finalement décidé de ne pas monter sur la scène de cet événement. Et sur Twitter, la semaine dernière, il a publié le contrat en indiquant qu'il avait «presque vomi» en le lisant.

Au quotidien The Guardian, il a expliqué que les humoristes ne devaient évidemment pas être homophobes ou racistes.

«Mais les artistes jouent avec des idées et il se peut, à l'occasion, que nous soyons perçus comme ayant tenu des propos racistes ou homophobes. Il est primordial qu'on ne nous empêche pas de jouer avec ces idées», dit-il.

L'association s'est excusée pour le malentendu qu'elle a créé en s'expliquant dans un communiqué: «Puisqu'UNICEF est une organisation caritative pour les enfants, nous voulions nous assurer que c'était un événement approprié pour la cause.»

Rien de tel au Québec

Toutes les personnes interrogées affirment qu'elles n'ont jamais eu connaissance d'un cas similaire au Québec. Oui, lors d'événements d'entreprises, il peut y avoir des demandes verbales. Mais jamais dans un contrat et avec autant de précisions.

«Spontanément, je me suis dit que c'était un cas où la personne n'a pas l'habitude de produire des spectacles d'humour. J'imagine difficilement que ça pourrait arriver ici. Ça créerait un gros inconfort dans le milieu», dit Émilie Dumas, fondatrice de RITA, une plateforme qui répertorie les soirées d'humour.

L'humoriste Mike Ward est du même avis. 

«C'est un problème britannique et du Canada anglais. Le Québec ne vit pas la même réalité.» - Mike Ward dans une réponse envoyée par courriel

Son agent, Michel Grenier, précise toutefois que des écoles secondaires peuvent avoir des exigences de ce genre. «Ce que je trouve normal... Même si nous savons très bien que, même si l'humoriste utilise un langage inadéquat, il n'apprendra rien aux élèves», a-t-il écrit.

Simple maladresse?

Le président-fondateur de l'agence Agora voit de la maladresse dans le geste de l'association étudiante de Londres. «Je ne crois pas qu'ils ont mis ça pour brimer la liberté d'expression des artistes, mais plus pour se sécuriser. C'est sûr que c'est "too much", ce qu'ils ont fait, parce qu'on ne veut pas dénaturer les artistes», dit Sébastien Langlois.

Dans un événement d'entreprise ou une soirée privée, il ajoute que le client a la responsabilité de choisir un humoriste en qui il a confiance et que l'artiste a le devoir de bien servir le client. «Parce que ça reste l'événement du client, pas de l'artiste», ajoute celui qui a travaillé plus de 15 ans comme agent de spectacles chez Juste pour rire.

«Tous les artistes dont je m'occupe ont tous un bon jugement. Ils savent comment jouer. C'est comme un joueur de hockey, si tu le laisses aller, c'est là qu'il est au sommet de son art. Si tu commences à lui dire de ne pas faire ceci ou cela, le gars ne jouera plus sa game, parce qu'il n'arrêtera plus de penser.»

«Bande de zouf!»

L'humoriste Guy Nantel a commenté cette petite controverse anglaise en employant ces mots sur Twitter: «Hahaha! Heil! Ça devait être drôle en ta... Bande de zouf!»

En entrevue avec La Presse, il explique qu'il a déjà perdu un contrat lucratif pour une entreprise québécoise, d'une dizaine de représentations, parce qu'on lui avait demandé de ne pas faire de blagues sur l'entreprise et ses patrons. «Je leur ai dit qu'ils n'avaient vraiment pas le bon gars», dit Guy Nantel.

«C'est de la fausse vertu. C'est du mépris bien plus grand de la part de ces personnes-là que de la part de l'humoriste qui fait la joke.»

«C'est comme s'ils t'envoyaient comme message: "Cette personne-là est tellement idiote qu'elle va tout prendre au premier degré et elle va casser en deux."»

Et pourquoi les artistes devraient-ils craindre ce genre d'exigences dans un contrat?

«Ben, mon Dieu! Parce que c'est le début de la dictature, parce que les peuples qui n'ont pas d'humour sont les peuples les plus dangereux sur la Terre. Il faut surtout pas laisser ces gens-là nous enseigner de quoi on a le droit de parler ou ne pas parler», conclut Guy Nantel.