Une enquête du New York Times fait état de nombreuses inconduites sexuelles qu'aurait commises l'humoriste américain Louis C.K., qui a annulé ses engagements à la dernière minute, hier, peu de temps avant la publication de ce reportage dévastateur. Des allégations qui circulaient depuis longtemps, jusqu'au tapis rouge de Just For Laughs.

La chute d'une idole

Louis C.K. est plus qu'un humoriste: c'est l'Humoriste avec un grand H, aux États-Unis. Aussi populaire auprès du public que respecté par la critique et vénéré par ceux qui pratiquent le métier. Il a accompli l'exploit de remplir le Madison Square Garden huit fois. Il est auteur, acteur, producteur, réalisateur. Il a été le script-éditeur des plus gros noms de la télé, comme David Letterman, Conan O'Brien, Chris Rock, il est l'homme-orchestre derrière la série Louie sur la chaîne FX, qui a reçu plusieurs Emmy, et il s'apprêtait à lancer un nouveau film, I Love You, Daddy, qu'il a écrit, réalisé, produit, et dans lequel il joue.

Mais... des rumeurs sur ses agissements avec les femmes circulaient depuis des années - le site Gawker a été le premier à les évoquer, en 2012 et 2015. Quelques heures avant la publication de l'enquête du New York Times, hier, Louis C.K. annulait l'avant-première de son film à New York ainsi que sa présence à l'émission The Late Show With Stephen Colbert.

Les révélations du New York Times

L'enquête du New York Times, menée par les journalistes Melena Ryzik, Cara Buckley et Jodi Kantor, nous apprend que Louis C.K. aurait eu à de nombreuses reprises un comportement déplacé envers des femmes et que, dans certains cas, il se serait masturbé devant elles. Certains faits allégués remontent à 2002, comme cette mauvaise expérience vécue par le duo d'humoristes formé de Dana Min Goodman et Julia Wolov, lors d'un festival à Aspen, au Colorado. Louis C.K. a invité les deux femmes dans sa chambre d'hôtel. Avant même qu'elles aient enlevé leurs manteaux, il leur aurait demandé s'il pouvait «sortir son pénis» devant elles. Goodman et Wolov ont cru à une blague. «Il a enlevé tous ses vêtements, s'est mis complètement nu, et il a commencé à se masturber», a raconté Goodman.

Le site Gawker a rapporté en 2015 un incident semblable à Just For Laughs. 

En 2003, l'humoriste Abby Schachner a appelé Louis C.K. pour l'inviter à son spectacle. Pendant la conversation, dit-elle, il lui a raconté ses fantasmes et elle l'a entendu se masturber. 

En 2005, Louis C.K. aurait demandé à la comédienne Rebecca Corry, qui tournait un pilote avec lui, s'il pouvait se masturber devant elle, ce qu'elle a refusé. 

Enfin, une cinquième femme, qui préfère demeurer anonyme, raconte que lorsqu'elle travaillait à l'émission The Chris Rock Show à la fin des années 90, Louis C.K. lui a régulièrement demandé de le regarder se masturber dans son bureau. 

Le masque de la franchise

Le reportage du New York Times rappelle l'énorme influence de Louis C.K. dans son milieu, qui n'a pas d'équivalent en termes de rayonnement. Que son appui à la carrière de quelques femmes a fait que ses fans et les critiques le considéraient même comme un féministe. «Louis C.K. a construit sa réputation comme l'improbable conscience de la scène comique, en faisant rire le public sur l'hypocrisie - particulièrement l'hypocrisie masculine. [...] Il a accédé à la célébrité en apparaissant franc à propos de ses défauts et de ses complexes sexuels, en parlant et en mimant largement l'acte - une exagération vulgaire qui donne l'impression à certaines femmes qu'elle servait à couvrir une réelle inconduite.» 

«Je pense que la ligne est franchie lorsque vous enlevez tous vos vêtements et que vous vous masturbez», estime Julia Wolov, citée dans l'article du quotidien new-yorkais.

Des rumeurs sur le tapis rouge de Just For Laughs

En 2015, la journaliste Megan Koester a couvert le festival Just For Laughs pour le site américain de Vice. Dans un article paru à la mi-octobre, elle raconte avoir profité de son accès aux humoristes des galas pour leur demander s'ils étaient au courant des allégations d'inconduites sexuelles concernant Louis C.K., un habitué de Just For Laughs. Après avoir tenté d'interroger à ce sujet les Dave Chappelle, Kevin Hart et T.J. Miller, une relationniste lui a demandé de poser des questions plus «gentilles». Le directeur général Bruce Hills a lui-même parlé à Mme Koester pour lui dire que ce n'était pas le moment ni le lieu pour mener son enquête. La journaliste écrit s'être alors sentie «tassée» du tapis rouge. 

Dans une déclaration envoyée à La Presse, hier en fin de journée, M. Hills affirme qu'il n'était pas au courant des allégations contre Louis C.K. Il réitère sa position envers la journaliste accréditée au Festival. «Le tapis rouge de Just For Laughs est une occasion pour les médias d'interviewer les lauréats et présentateurs, et de discuter de notre cérémonie de remise de prix. Ceci a été la nature de ma conversation avec Mme Koester ce jour-là. Mon intention était de garder l'esprit festif de notre cérémonie. En faisant cela, je ne défendais d'aucune manière l'artiste, car je n'étais pas au courant de quelque allégation que ce soit envers lui. Si Mme Koester voulait que les artistes commentent officiellement, elle aurait dû suivre le protocole journalistique approprié, être transparente face à ses intentions et faire une demande d'entrevue complète.»

Finalement, l'organisation du Festival dit qu'il est encore trop tôt pour confirmer ou infirmer la présence de Louis C.K. l'été prochain à Just For Laughs.

Les conséquences pour les victimes

Le silence entourant les inconduites sexuelles de Louis C.K. rappelle celui de nombreux cas révélés depuis l'affaire Harvey Weinstein. L'admiration portée à l'artiste, son pouvoir et la crainte de représailles pour celles qui parlent. Rebecca Corry raconte au New York Times que lorsqu'elle a refusé la demande douteuse de Louis C.K., lui rappelant qu'il avait une fille et une femme enceinte, «son visage est devenu rouge, et il m'a dit qu'il avait des problèmes». Cet incident a été rapporté aux producteurs de l'émission pilote, Courteney Cox et David Arquette, qui confirment les faits. Corry a décidé de continuer à tourner quand même. Lorsque Dana Min Goodman et Julia Wolov ont raconté leur mésaventure, «les gars reculaient. On pouvait déjà sentir le backlash», disent-elles. L'agent de Louis C.K. a même contacté leur agent pour demander qu'elles cessent de raconter leur histoire. En 2009, Abby Schachner aurait reçu un message d'excuse de Louis C.K. Même chose pour Corry en 2015. Ce qui prouve que l'homme était conscient de ses actions, selon elles.

Pas de réaction de Louis C.K.

Louis C.K. a refusé de commenter le reportage du New York Times ou de parler à ses journalistes. Le journal The Guardian rappelle que lors de la présentation de son film I Love You, Daddy au dernier Festival de Toronto, il n'a pas voulu non plus commenter ce qui était alors des rumeurs à son sujet. Il a dit à un journaliste du Times: «Je ne vais pas répondre à ces trucs, parce que ce sont des rumeurs. Si vous participez à une rumeur, vous la grossissez et elle devient vraie. Des rumeurs, c'est tout ce que c'est.» Le distributeur de I Love You, Daddy songe à ne pas sortir le film du tout. D'autant qu'il raconte l'histoire d'un producteur dont la fille de 17 ans tombe amoureuse d'un cinéaste de 68 ans, et qu'au Festival de Toronto, on a beaucoup jasé du fait que tout cela évoquait beaucoup le cas de Woody Allen...

Sources: The New York Times, Vice, Gawker