Pour le 35e anniversaire du festival, les galas Juste pour rire explorent l'ADN de l'humour avec des soirées telles que Juste personnages, Juste engagé et Juste absurde. Or, des femmes humoristes considèrent que le gala Juste féminin, qui se veut un hommage à la place qu'elles occupent en humour, les ghettoïse encore plus dans une industrie à prédominance masculine.

On a souvent proposé à Cathy Gauthier d'animer des «shows de filles», mais elle a toujours refusé. «Un gala Juste féminin, on dirait une réunion Avon! C'est comme si on invitait le public à assister à une démonstration de Tupperware.»

Habituée des galas Juste pour rire, Cathy Gauthier estime que le gala Juste féminin, prévu le 23 juillet à la salle Wilfrid-Pelletier, équivaut à «mettre les femmes dans un coin».

«Je suis tannée de me faire dire que je suis une femme en humour. Je suis une humoriste, point. Je ne suis pas non plus une femme qui fait de l'humour de gars. Je fais de l'humour de Cathy Gauthier, et ça adonne que j'ai des seins, [...] ce qui ne veut pas dire que je parle de maternité et de laver mon frigo», affirme-t-elle.

«Être femme, ce n'est pas un thème»

Ces dernières années, les organisateurs du festival ont été critiqués pour ne pas mettre assez de femmes à la tête de leurs galas. Par le passé, Cathy Gauthier y a présenté des numéros, mais elle a aussi été coanimatrice. Or, «j'étais la seule fille qui animait», rappelle-t-elle.

«La journée où les femmes animeront des galas sans sentir qu'elles prennent la place de quelqu'un d'autre; la journée où les femmes vont arrêter de marcher sur la pointe des pieds pour rentrer dans la gang; la journée où l'on verra davantage de femmes humoristes [dans ces galas], là, on sera rendus ailleurs», martèle Cathy Gauthier.

Virginie Fortin, une humoriste dont la jeune carrière est en plein essor, partage son exaspération.

«Être une femme, ce n'est pas une particularité [de l'ADN de l'humour]. Ce n'est pas un style d'humour. [...] Pourquoi faut-il alors un gala spécial?»

«Moi, je suis une femme; c'est une caractéristique qui me définit, mais qui ne définit pas mon humour, explique-t-elle. Je mesure aussi 5 pieds 6 pouces: est-ce que je devrais animer [un gala pour les personnes de ma taille]? "Par applaudissements, qui dans la salle trouve qu'un filet de basketball, c'est trop haut?" On ferait des blagues là-dessus? Être une femme, ce n'est pas un thème. Les gens qui organisent les galas devraient comprendre cela.»

Un festival inclusif

Quand le directeur de la programmation des galas Juste pour rire, Christian Viau, a annoncé les thèmes de l'édition 2017 hier, il a reçu plusieurs appels d'amis et d'humoristes lui demandant d'expliquer sa vision de la soirée Juste féminin.

«Cette année, on décortique l'ADN de l'humour. On ne parle pas de styles d'humour, car on est bien conscients [qu'être une femme] n'est pas un style. C'est plutôt ce qui colore, ce qui teinte l'industrie de l'humour au Québec. [...] On fait le constat que les filles sont de plus en plus nombreuses, et ce, à notre grand plaisir. [...] C'est un coup de chapeau qu'on leur fait», affirme-t-il.

Le programmateur ajoute que le gala Juste féminin ne sera pas un spectacle de «fi-filles» et qu'il y aura une diversité d'humoristes, hommes et femmes, sur scène. Il assure également que les femmes humoristes seront bien représentées dans les autres galas prévus cet été, même si aucune d'entre elles n'en assurera l'animation.

«C'est une question de conflits d'horaires. On veut avoir des filles [qui animent] : elles sont tellement présentes, tellement nombreuses, tellement talentueuses, [...] mais c'est aussi problématique [car elles sont très occupées]. Mariana Mazza n'a pas pu animer un gala l'an passé parce qu'elle travaillait sur deux tournages. C'est un concours de circonstances», estime Christian Viau.

«Je me fais reprocher qu'il n'y a pas assez de filles [dans les galas]. Je voudrais bien en avoir plus, mais je ne peux pas en inventer non plus. Ma mère est drôle dans un party de famille, mais je ne peux pas la mettre sur la scène», affirme Christian Viau, directeur de la programmation des galas Juste pour rire.

Cet argument fait fulminer Virginie Fortin. «C'est ça, les femmes ne sont pas disponibles parce qu'elles sont dans la cuisine en train de préparer des repas, pendant que leurs hommes animent des galas Juste pour rire. Franchement...», ironise-t-elle.

S'inspirer de Just for Laughs

Kim Lévesque-Lizotte, qui coécrit avec Louis Morissette la populaire série Les Simone à Radio-Canada, croit pour sa part que Juste pour rire devrait s'inspirer de son volet anglophone, Juste for Laughs.

«Si Juste pour rire veut [souligner la place qu'occupent les femmes en humour], il pourrait s'inspirer de Just for Laughs, qui a programmé il y a quelques années des têtes d'affiche féminines comme Amy Schumer pour ses galas.»

«Pourquoi n'y a-t-il chaque été qu'une femme, ou parfois aucune, à la tête des galas [francophones] ? [...] On prend ça comme si c'était un risque de vendre moins de billets.»

Louise Richer, qui dirige l'École nationale de l'humour, se questionne aussi sur la pertinence d'une soirée Juste féminin.

«Est-ce qu'en ghettoïsant les femmes, on soutient la place qu'elles occupent en humour ou, au contraire, est-ce un indicateur qu'il y a une espèce de discrimination? C'est une belle question qu'on peut poser», dit-elle, soulignant que le milieu n'est pas unanime par rapport à cet enjeu.

Claudine Mercier, qui fait carrière depuis plusieurs décennies dans l'industrie de l'humour au Québec, est l'une de celles qui ne voient pas le gala Juste féminin d'un mauvais oeil.

«Je trouve que c'est une excellente idée de producteurs. Si tu es une femme humoriste, il faut que tu participes à ça. Tu n'as pas bien le choix, tu veux être là. Quand j'ai commencé ma carrière, il y avait Lise Dion, Marie-Lise Pilote et moi. Aujourd'hui, il y en a plus, et c'est vraiment le fun. Tant mieux si on peut avoir un gala! Je pense que les gens aimeraient ça», croit l'humoriste.