Après l'incident Jean-Pierre Mocky d'où il est sorti stupéfait et amusé, le conteur s'installe pour un mois dans un théâtre célèbre de Paris.

L'incident s'est produit six jours plus tôt, le jeudi soir, pendant l'enregistrement de l'émission de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, mais Fred Pellerin n'en revient toujours pas. Plus ébahi que traumatisé d'ailleurs.

«Je n'avais jamais vu ça, dit-il, une confrontation qui fait exploser le plateau télé! Des insultes! Moi, Jean-Pierre Mocky, je ne le connaissais pas, je ne savais pas que c'était dans ses gènes. D'abord, j'ai trouvé ça drôle, parce que moi je confrontais zéro dans cette affaire. Puis, j'ai été effleuré par une rondelle... Finalement, je suis content d'y avoir goûté, mais je suis également content de ne pas avoir reçu la rondelle en plein front: je ne sais pas comment j'aurais réagi parce que ce monde je ne le connais pas, et je ne peux pas patiner dans ce genre de jeu.»

On connaît à peu près la scène. L'un des invités de Ruquier, le prolifique cinéaste Jean-Pierre Mocky, vieux provocateur de 79 ans, agresse les deux journalistes, Natacha Polony et Aymeric Caron, avant même qu'ils ne commencent à critiquer son dernier film, les traite de «cons», lui de «vermisseau», elle de «demi-vieille peau».

Le lancer de bouses de vache dure un petit quart d'heure. Lorsque Ruquier demande son avis à un Fred Pellerin médusé, Mocky le coupe: «Je ne comprends pas un mot de ce que vous dites!»

Lorsque le conteur vient s'installer à son tour dans le fauteuil, il aura droit à des éloges enthousiastes de Polony et Caron, mais aussi à une autre salve latérale de Mocky: «J'aurais besoin d'un interprète pour le comprendre!

«Je ne peux tout vous répéter deux fois», répond calmement Pellerin.

«Des réflexions sur l'accent, on connaît, rien de nouveau», dit-il près d'une semaine après les faits. «Ça fait maintenant 300 ou 400 spectacles que je donne en France, et personne n'a le moindre problème de compréhension. De toute façon, il y a aussi des mots inventés, des phrases sans verbe, ni queue, ni tête, mais l'histoire de fond est tellement simple et claire que tout le monde comprend. La seule concession que j'ai faite au niveau du vocabulaire, c'est de changer paparmane pour tic-tac, parce que le bonbon existe dans les deux pays. Jamais je n'aurais remplacé par un mot strictement français.»

À l'Atelier

Nous sommes au bar de l'Atelier, à Montmartre, où 20 spectacles sont programmés. Une très belle salle à l'italienne de 550 places, et l'un des rares théâtres privés de Paris à avoir une programmation de qualité.

Le héros du jour a l'air parfaitement détendu, même si la première de De peigne et de misère commence dans une heure à peine. De surcroît, il vient d'apprendre qu'il doit couper 20 minutes de son spectacle: «Il faisait 1h35 avec le rappel, je dois le ramener à 1h15, le temps d'installer le décor de la deuxième partie de la soirée, qui commence à 21h. J'ai donc supprimé une des trois histoires et il faut que je m'arrange pour que les raccords fonctionnent.»

Et tout fonctionne à merveille. Pour cette première programmée un mercredi soir, l'orchestre et le premier balcon affichent complet, avec quelque 400 spectateurs. Du côté de la maison Azimuth, qui produit Pellerin en France, on est ravi.

Il y a eu lundi un papier dithyrambique dans Le Monde: «C'est grave et crépusculaire, plein de drôlerie et d'humanité, d'une virtuosité narrative peu commune et, qu'on ne s'y trompe pas, moderne. On est de grands enfants qu'un enchanteur tient par la main.»

On prévoit un papier dans Le Parisien, principal quotidien populaire, un autre sans doute dans Télérama, hebdo culturel. Fred vient de faire le téléjournal du midi sur France 2, et Laure Adler l'a accueilli à son émission de radio sur France Inter.

«Actuellement, on est en train de vendre une salle par jour, dit-il avec précision. L'émission de Ruquier a certainement aidé, car c'est un cadre où j'ai eu le temps de montrer à quoi ressemble mon spectacle. Car il n'est pas si facile à vendre: je ne suis ni un humoriste ni un chanteur, on ne sait pas dans quelle case me placer.»

Les spectateurs, eux, ont l'air d'avoir compris de quoi il était question. Certains ont déjà vu le spectacle, les autres ont été convaincus par le bouche-à-oreille. En tout cas, tout le monde suit le fil de cette histoire fantaisiste et décousue sans perdre un mot, ni quand il est question du «zéro de la partance», des «chauves-souriantes», de «l'imémimitisme» ou de la tendance de Mme Gélinas à «populer».

Ovation

Après ce blitz d'images virevoltantes de 75 minutes qui passe comme un charme, c'est une formidable ovation qui envahit la salle. Manifestement, le conteur de Saint-Élie-de-Caxton, qui laboure Paris et la France depuis la fin 2008 avec ténacité et de plus en plus de succès, fait désormais partie du paysage. Il est presque assuré de frôler les 10 000 spectateurs dans le mois.

Depuis son arrivée, il en a profité pour aller voir des expositions, le spectacle de Victoria Chaplin, passer une soirée avec son copain Daniel Pennac, qui lui ressemble comme un frère aîné. Dans quelques jours arrive la famille, «et on va passer en mode papa», dit-il.

Ce mois de juin ressemblera donc pour lui à Jours tranquilles à Montmartre. Paris ne l'impressionne pas plus que ça: «Il m'a fallu cinq ans pour percer au Québec. À l'époque, je ne pensais même pas que ça marcherait à Joliette! Alors Paris...»