Le Cirque du Soleil est probablement le plus bel ambassadeur culturel de Montréal. L'entreprise de Guy Laliberté (prenez des notes, M. le ministre Moore) a des antennes partout. Le New York Times se félicitait justement hier de sa présence continue, dès 2010, dans la métropole américaine.

«Non content de se produire dans 271 villes et 32 pays pour 11 millions de clients l'an dernier, le Cirque du Soleil, l'empire du cirque dont le siège est à Montréal, compte s'établir de façon permanente à New York l'an prochain», écrit le quotidien.

Rien qu'on ne sache déjà. En février, le Cirque veut s'installer de manière récurrente, pour plusieurs mois, au Beacon Theater, avec un spectacle inspiré du vaudeville mis en scène par David Shiner. L'hiver, le Cirque du Soleil présente déjà Wintuk au Madison Square Garden, et compte proposer, dès l'été 2011, un spectacle mis en scène par René Simard au Radio City Music Hall. De beaux projets en perspective pour une entreprise florissante qui ne craint pas la crise outre mesure.

En lisant le long papier du Times, qui fait aussi état, selon certains observateurs du milieu, de l'«essoufflement créatif» du petit cirque avant-gardiste devenu multinationale du divertissement (7 milliards de ventes depuis ses débuts), j'ai eu une pensée pour Montréal.

Le Cirque du Soleil est la marque de commerce la plus prestigieuse de Montréal. Plusieurs parmi les 25 spectacles du Cirque depuis 25 ans ont été présentés en première mondiale à Montréal.

Toutes ses productions sont rodées au siège social montréalais de l'entreprise, dans le quartier Saint-Michel, où travaillent quelque 1800 de ses 4500 employés. Le Cirque est le terrain de jeu inespéré de nombre de metteurs en scène québécois parmi les plus talentueux, à qui Guy Laliberté offre en toute confiance les clés de sa Ferrari.

Or, lorsque Guy Laliberté confie au Times qu'il veut «quelque chose de solide et permanent à New York», où il espère «être présent 12 mois par année», je me dis: pourquoi pas Montréal?

Le mois dernier, le PDG du Cirque du Soleil, Daniel Lamarre, a balayé d'un revers de main le projet de chapiteau permanent du Cirque à Montréal. «Le problème de Montréal, c'est les mois de décembre, janvier, février et mars...» a-t-il précisé, en ajoutant que la décision de ne pas construire de salle de spectacle à Montréal était «une décision irrévocable» et «un rendez-vous manqué». Il faisait évidemment référence au projet avorté de salle de spectacle dans un nouveau casino de Loto-Québec, dans le quartier Pointe-Saint-Charles.

Les dirigeants du Cirque du Soleil semblent toujours avoir en travers de la gorge l'échec de ce projet ambitieux. Daniel Lamarre parle de «rendez-vous manqué» et il n'a pas tort. Ce qu'il se garde bien de dire, par ailleurs, c'est que le projet de nouveau casino était bancal, mal ficelé et mal situé, comme l'a souligné à l'époque la Direction de la santé publique.

C'était en 2006. Je me souviens très bien de la moue boudeuse de Guy Laliberté, visiblement irrité, au Téléjournal, qui semblait dire sans le dire: «Si c'est comme ça, tant pis, moi je ne joue plus!»

Aujourd'hui, on sent chez les patrons du Cirque du Soleil des relents de cette rancoeur, que l'on pourrait qualifier de puérile. «Une décision irrévocable.» Comme si l'on voulait punir Montréal - et le Québec - de ne pas avoir déroulé le tapis rouge à l'enfant prodigue, sans plus de formalités. Sans poser de questions et sans se soucier des impacts sociaux.

C'est l'emplacement du casino qui posait problème à l'époque, pas l'idée même d'une salle de spectacle. Or, une salle permanente du Cirque à Montréal serait trop risquée, dit Guy Laliberté, qui estime qu'il n'y a pas assez de touristes pour assurer sa pérennité. Ce n'est pas ce qu'il disait il y a quatre ans, en conférence de presse, aux côtés d'Alain Cousineau, le PDG de Loto-Québec.

Je ne veux pas faire le procès du Cirque du Soleil, qui est un moteur économique et culturel essentiel à Montréal. Je regrette seulement que ce fleuron de notre culture ne soit pas mieux représenté dans sa propre ville. Dire qu'il n'y a pas assez de touristes à Montréal ne réglera pas le problème du tourisme. En revanche, proposer une vitrine du Cirque du Soleil au centre-ville de Montréal est certainement une façon d'encourager le tourisme.

Guy Laliberté s'est déjà beaucoup investi à et pour Montréal. Il aurait pu déménager ses pénates à l'étranger, ne pas faire appel aussi souvent à des artisans et artistes montréalais. Il a décidé de bâtir son empire à partir de Montréal, qui lui en est reconnaissant. Je reste de ceux qui estiment que M. Laliberté a encore beaucoup à donner à la métropole. Pas en achetant le Canadien, mais en revenant sur cette «décision irrévocable» de bouder en quelque sorte sa ville.

Établir un chapiteau permanent du Cirque du Soleil à Montréal n'est pas une décision d'affaires comme une autre, surtout en ces temps économiques incertains. C'est un geste qui relève de la symbolique, d'un investissement à long terme dans la revitalisation et la fierté d'une ville.

On construit en ce moment un Quartier des spectacles en plein coeur de Montréal. Il devrait y avoir une place pour le Cirque du Soleil. Ce que les anglos appellent un «landmark». Un lieu à l'image des idées foisonnantes du Cirque et de son fondateur. Dans un hôtel de luxe, avec un restaurant gastronomique ou un musée du cirque? Pour présenter un spectacle saisonnier, ingénieux et pas trop coûteux, plutôt qu'un spectacle permanent? Je n'en sais rien.

Ce que je sais, c'est qu'il faut mettre en valeur le Cirque du Soleil à Montréal. Parce que ce Cirque, c'est aussi notre Cirque.

 

Photo: André Pichette, La Presse

Wintuk du Cirque du Soleil à New York.