Quand vous lirez ces lignes, les représentations du nouveau conte de Fred Pellerin, L'arracheuse de temps, afficheront complet, au Monument-National de Montréal et ailleurs: sans campagne publicitaire, le petit jeune homme blond de Saint-Élie-de-Caxton a déjà vendu près de 50 000 billets pour sa quatrième création, et 200 dates de représentation sont déjà inscrites à son agenda. Pas de panique, il va y avoir des supplémentaires pour tout le monde...

Quand vous lirez ces lignes, les représentations du nouveau conte de Fred Pellerin, L'arracheuse de temps, afficheront complet, au Monument-National de Montréal et ailleurs : sans campagne publicitaire, le petit jeune homme blond de Saint-Élie-de-Caxton a déjà vendu près de 50 000 billets pour sa quatrième création, et son agenda affiche déjà 200 dates de représentation. Pas de panique, il va y avoir des supplémentaires pour tout le monde...

 

Où est Saint-Élie-de-Caxton? Saint-Élie est partout. Notamment dans la ruelle qui borde la très montréalaise rue Chambord, où se déroule notre entrevue. Car voilà-t'y pas que s'amène un voisin, Lionel, et que Lionel se trouve à être un cousin de Yvan à Bégon, comprenez-vous, et qu'il a un shack près du Lac au barrage à Saint-Élie, et que ça lui fait bien plaisir de parler à Fred Pellerin; sa femme en reviendra pas que lui, Lionel, ait parlé à la «vedette de Saint-Élie»! Eh, Monsieur, le village global, ça existe, pis pas à peu près...

«C'est bizarre, mais ça m'arrive tout le temps, explique un Fred Pellerin hilare, véritable villageois global. Écoute, à Paris, je suis en train de donner mon spectacle et je vois la fille à Roland Legris dans la salle! Roland, qui a été maire de Saint-Élie pendant au moins 25 ans! «

Qui eut cru, il y a trois ans, que les mots Saint-Élie-de-Caxton deviendraient connus de tous ou presque? Et que cela serait parce qu'un jeune conteur extra-filiforme en émergerait, la parole vive à la bouche et le rire contagieux dans la gorge? Pellerin non plus n'en revient pas : «En trois ans, ma vie a changé. Mes enfants sont nées (Marie-Fée, 3 ans, et Marie-Neige, 8 mois), mon père est mort (subitement, à l'âge de 57 ans) et j'ai obtenu une reconnaissance incroyable de mon métier, que je pratique depuis 12 ans sans avoir à faire de compromis!»

Tout Fred Pellerin est dans cette phrase : c'est d'abord sa famille, ses proches qui comptent, c'est sa carrière qui bénéficie ensuite de tout ce qui lui arrive dans la vie - par exemple, 450 représentations de son conte Comme une odeur de muscle, vu par 150 000 spectateurs, avec notamment une tournée française couronnée de succès.

Et où est Fred Pellerin dans tout ça? Il est partout. Cette année, on a été nombreux à succomber à son excellent disque de chansons traditionnelles d'amour Fred et Nicolas Pellerin, enregistré avec son frère (40 000 exemplaires vendus - et Fred compte sortir un nouvel album l'an prochain). On a été nombreux à suivre les indications qu'il donne dans l'audioguide pour visiter son Saint-Élie-de-Caxton (plus de 12 000 touristes cet été). On a été nombreux à l'avoir vu au spectacle hommage à Félix Leclerc, en août, où il a fait un malheur, notamment avec sa reprise du conte Le procès de la chenille qui nous a laissé la gorge nouée. Et on est nombreux à attendre avec impatience la sortie du film Babine (le 28 novembre), tourné par Luc Picard à partir du conte Prendre le taureau par les contes de Fred...

«J'étais pas supposé faire un nouveau show tout de suite, tu sais, laisse tomber Fred, mais j'ai eu peur de pas être capable d'en faire un après la sortie du film, quel qu'en soit la réception... « Ça aussi, c'est tout Fred Pellerin : dire simplement qu'il a peur. Comme il a eu peur quand il est entré en studio pour enregistrer la très belle chanson Douleur de Leclerc, en compagnie du réalisateur Marc Pérusse, pour le disque hommage à Félix : «Tu comprends, le disque avec mon frère, on l'a fait à trois avec Jeannot (Bournival), qui est le réalisateur, mais qui est aussi mon voisin! Là, c'est Marc Pérusse et il me fait entendre la reprise de Patrick Bruel (Bozo) avec 40 violons, pis envoye donc. Je trouvais que je faisais chenu avec ma voix et ma guitare (rires). Finalement, c'est pourtant comme ça qu'on l'a enregistrée, et Marc l'a mise à la toute fin du disque, ça repose Félix dans sa guitare. «

La Stroope

Dans L'arracheuse de temps, le nouveau conte de Pellerin, il est beaucoup question de la mort, mais aussi de la différence: il tourne autour du passage de La Stroope à Saint-Élie-de-Caxton pendant trois ans et quelques mois. La Stroope, c'était la mystérieuse et anglophone Madame Stewart Troop. Ou plutôt, sur les lettres qu'elle recevait, Madame S. Troop : quand le postier faisait l'appel de ceux qui avaient reçu du courrier, il criait donc « Madame Stroope «. Et la Stroope, elle est ainsi devenue. Quelque part entre Le Survenant et le personnage de la riche Canadienne-anglaise Baby Mayfair dans Les belles histoires des pays d'en haut, La Stroope va éveiller curiosité et suspicion dans le village... surtout quand on va réaliser que nul n'est mort à Saint-Élie pendant quand elle y a vécu! «On dit toujours «menteur comme un arracheur de dents «, explique Fred avec un beau grand sourire craquant. Eh bien, La Stroope, elle, elle a arraché du temps à la Mort! «

«C'est vrai que je parle pas mal de la mort, là-dedans, reprend-il, elle est à la fois injuste et la seule justice. Je me remets très tranquillement de mon deuil, de mon père mort trop jeune... Mais je sais aussi que la mort est déclencheuse de vie. Et ce dont je suis absolument sûr, c'est que la mort est le chemin obligatoire pour être «légendé»! Là, vraiment, la mort devient le début de quelque chose. Pour être une légende, faut être posthume!»

Pour l'occasion, Fred a intégré quelques chansons à son spectacle, salué par la critique tant à Saint-Élie qu'à Québec : des chants traditionnels, l'air de La Wally et Quand vous mourrez de nos amours de Vigneault, «qui était la chanson préférée du père de Gilles Vigneault «, s'exclame Fred, franchement content. Non, il n'a pas écrit lui-même de paroles («la seule chanson que j'ai jamais écrite, c'est Silence sur le disque du groupe Taïma «).

Mais il a construit peu à peu son spectacle, déjà présenté à une vingtaine de reprises, à l'aide de contes, de rumeurs, d'anecdotes glanés au fil des ans dans son Saint-Élie originel. «C'est d'abord toute une série de poutres que j'accote l'une sur l'autre. Quand elles sont solides, je pose la toiture par-dessus. C'est-à-dire que je trouve la fin de mon conte. Une fois que j'ai ma fin, je peux revenir sur le conte et lui donner la pente que je veux. Faque, si je te parle de ma Black & Decker pendant une demi-heure dans le spectacle, inquiète-toi pas, il y a une fin, je vais finir par y arriver! «

Micro-économie

Fred Pellerin et Saint-Élie-de-Caxton sont tellement liés que des analystes économiques lui ont consacré des articles et ont parlé de «boom « économique à Saint-Élie grâce au conteur. Fred, manifestement, n'en est pas convaincu : «On a 38 lacs à Saint-Élie, il y a bien des maisons et des chalets qui font face à un lac, et ça, ça vaut toujours cher : d'après moi, il est plutôt là, le boom. « N'empêche qu'il reconnaît faire des pieds et des mains pour soutenir son village : avec ses copains, ils ont même concocté un livre de recettes de Saint-Élie, dont les profits servent à l'entretien des portes de l'église! Et ce qui l'allume singulièrement, ces temps-ci, c'est l'idée de faire un almanach, dont il a trouvé la «recette « pour le faire : «C'est simple : tu regardes la température qu'il fait du 26 décembre au 6 janvier. Chaque journée équivaut à un mois : du 26 au 31, c'est juillet à août, et du 1er au 6, c'est janvier à juin. Une semaine dure donc six heures. T'observes la météo pendant tout ce temps, pis t'as ton almanach! «

Fred est-il en train de me conter des bobards? C'est là toute la beauté de sa démarche : impossible de le savoir. Le DVD de Comme une odeur de muscle (en magasin le 11 novembre) en est un autre exemple. On y voit et entend Fred raconter les exploits incroyables d'Esimésac Gélinas, l'homme fort du village. Mais, en bonus, on y voit aussi Marcel, le petit-fils du vrai Esimésac parler de son grand-père. «D'après les gens qui entendent mes contes, je suis accoté dans le mensonge, dit Fred en riant, mais quand ils entendent Marcel parler, disons que ça crée comme un inconfort de merveilleux!»

Fred Pellerin, L'arracheuse de temps, au Monument-National du 14 au 18 octobre, 20h. Supplémentaire: le 17 avril 2009 à la salle Maisonneuve de la Place des Arts.