Depuis le milieu de la précédente décennie, on assiste à l'extraordinaire déploiement et à la réflexivité phénoménale d'Annie Clark, alias St. Vincent.

Rappelons que la guitariste surdouée était devenue St. Vincent après avoir oeuvré au sein de Polyphonic Spree et de la formation du prolifique Sufjan Stevens.

Inspiré du St. Vincent Catholic Medical Center, là où mourut le poète Dylan Thomas, ce nom de scène choisi par la Texane fut en 2007 le point de départ d'un personnage n'ayant cessé de s'étoffer au fil des 11 années suivantes.

Pour son album homonyme paru en 2014, elle fut la première femme leader en 24 ans à remporter un Grammy dans la catégorie du meilleur album alternatif. Nous en sommes actuellement au chapitre Masseduction, son cinquième album solo lancé en octobre 2017 - ce qui exclut Love This Giant, enregistrement et spectacle mémorables, créés en tandem avec David Byrne en 2012.

Guitariste aguerrie, excellente créatrice de chansons traversées par les différents cycles de l'indie rock et de l'électro, de plus en plus spectaculaire devant public, la mi-trentenaire a mené diverses mutations, notamment en évoquant la fluidité des genres et de la sexualité, ou en interrogeant même les idées de sex-appeal, de vieillissement et de santé mentale.

« Nous sommes en pleine mutation de paradigme. L'idée même que nous nous faisons d'un être humain se transforme radicalement. La sexualité est fluide, l'identité l'est aussi, ces notions n'en demeurent pas moins construites et arbitraires. Assurément, nous traversons une période de turbulences et de grande excitation », a-t-elle maintes fois souligné en interview.

UN PERSONNAGE

Dans ses atours de St. Vincent, Annie Clark a évoqué, parodié ou caricaturé la star au féminin, sa dernière incarnation évoluant aux limites de l'hypersexualisation et même de la caricature... « masseductive » !

« Mes vêtements sur scène sont conçus pour le spectacle. Et, oui, mon propre corps est un élément de cette performance. Cependant, je n'irais pas jusqu'à dire que je joue un rôle étranger à ma personne. Mon personnage de scène en est un prolongement artistique, il résulte aussi de ma réflexion sur ce personnage. »

L'image que St. Vincent a d'elle-même en tant qu'artiste résulte donc d'une véritable réflexivité, soit une pensée sur la création actuelle par laquelle elle s'inclut à part entière.

À travers ses artifices de scène et ses vidéos, la chanteuse et musicienne affirme du coup son pouvoir de décider de quelle façon la femme qu'elle est doit se projeter dans l'imaginaire collectif.

« Mon personnage sur scène est plus exubérant, car j'ai réalisé qu'il fallait donner un spectacle au-delà d'un concert. Chaque étape de ma carrière a été différente en ce sens. Je suppose que la dimension visuelle et le mouvement sur scène sont à l'image de mon évolution en tant qu'artiste, aussi à travers les thématiques abordées dans mes chansons. »

SUR SCÈNE

Inutile de souligner que St. Vincent aime varier les propositions devant public : récemment, deux spectacles différents ont été mis sur pied, et nous aurons droit au second, mis en branle au printemps dernier, ce qui coïncide avec le cycle des grands festivals.

« Le précédent était une performance solo, presque conçue comme une pièce de théâtre. L'actuel est un spectacle rock à grand déploiement, présenté avec projections vidéo, éclairages, costumes, décors, beaucoup de mouvement sur scène. L'idée est de vous asséner une bonne claque ! » 

« Un spectacle doit être conçu pour ne pas être oublié ; on peut aimer, adorer, on peut aussi en sortir perplexe, confondu, déçu, choqué... mais cela doit rester gravé dans les mémoires. »

- St. Vincent

Contrairement au personnel recruté pour chacun de ses albums, son groupe de tournée est demeuré stable depuis la sortie de l'opus Strange Mercy (2011).

« Tout ce qui est présenté sur scène, assure-t-elle, est joué en direct. Cela demeure un défi de tous les instants que de faire évoluer notre jeu, individuel ou collectif. Avec le temps, nous apprenons à être meilleurs, voilà tout. »

Cela étant posé, Annie Clark refuse de se tourner vers le passé.

« Je ne tiens absolument pas à me remémorer mes meilleurs coups. Ce que j'ai accompli auparavant m'importe peu. Seuls le présent et l'avenir m'intéressent. Je travaille sans cesse sur du nouveau matériel, mais je suis encore dans la défense du dernier album, sorti l'automne dernier. En tournée, je n'écoute pas énormément de musique ; je me concentre sur mon travail, sur l'amélioration de mon spectacle qui exige quotidiennement des heures de préparation, sans compter le temps passé sur scène. »

Le prochain chapitre ? Aucune idée.

« Je n'en suis pas là et je ne me préoccupe plus de la notion d'albums, en fait. Aujourd'hui, il y a tant de manières d'envisager l'exécution musicale, bien au-delà d'un concept d'album. Tout est possible. »

Scène de la Rivière, vendredi, à 17 h 40