C'était il y a un an. Ce jour-là, des élèves en musique de l'Université de New York avaient eu une surprise de taille en arrivant en classe: Pharrell William, producteur et chanteur de renommée internationale, était venu en personne écouter leur travail et offrir ses conseils. Alors que jouait le morceau d'une jeune femme, le célèbre invité a paru à la fois interloqué, ému et admiratif. Sa réaction, captée sur caméra, a fait le tour du web. La chanson, c'était Alaska. Et l'étudiante, c'était Maggie Rogers, 22 ans. En spectacle à Osheaga cet après-midi, elle tentera de prouver qu'elle est plus que l'héroïne d'une vidéo virale. Entrevue.

Q: La vidéo qui vous a rendue célèbre sur l'internet est sortie il y a un peu plus d'un an. Que vous est-il arrivé depuis sa diffusion ?

R: Vous savez, je me demande encore comment résumer cette dernière année, parce que tout est arrivé si vite. J'écris mon journal assidûment, mais j'ai l'impression que ce qui s'est passé il y a trois mois est arrivé, en fait, il y a deux ans. J'ai fini l'université il y a à peine un an, et depuis j'ai signé un contrat de disque, lancé l'EP composé pendant mes études, tourné mon premier vidéoclip, fait ma première prestation en direct à la télé, mes premiers spectacles dans des festivals, j'ai voyagé dans de nouveaux pays... je crois que j'ai même officiellement fait le tour de la Terre, ce que je ne pouvais absolument pas prédire il y a un an ! Il y a même eu des t-shirts à mon nom. Ça, c'était nouveau! [Rires.] Et j'ai signé mon premier autographe.

Q: Diriez-vous que cette première expérience de tournée vous a appris de nouvelles choses sur vous-même, à la fois comme artiste et comme personne?

R: Oui, absolument. Mais je ne sais pas encore exactement lesquelles. Cela fait neuf mois que je fais de la tournée, alors j'imagine que lorsque j'aurai terminé, en août, et que je vais retourner chez mes parents pendant un mois, je pourrai davantage mesurer tout ce qui s'est passé. Ma meilleure amie de l'université, Taylor, voyage avec moi, elle est un peu ma colocataire. On parle après les concerts, et selon elle, c'est lorsque je suis complètement épuisée ou frustrée à propos de quelque chose que je donne mes meilleures prestations. Un peu comme si je refusais de céder à la fatigue et à la colère et que je me branchais à une espèce de deuxième moteur. Alors, je dirais que j'ai appris que j'avais cette résilience en moi au cours de la dernière année.

Q: Vous êtes synesthète. [La synesthésie est une perception associant plus d'un sens alors qu'un seul est stimulé. Dans son cas, elle a déclaré que la musique lui faisait percevoir des couleurs.] Pourriez-vous décrire ce que vous planifiez jouer à Osheaga en termes de couleurs?

R: J'utilise surtout ma synesthésie au stade de l'écriture. J'ai l'habitude de préparer des moodboards avec ce que je veux retrouver dans la musique, un peu comme si je peignais la chanson avant de la composer. Ce qui est intéressant, c'est que dans les deux ou trois derniers mois, j'ai beaucoup travaillé sur des projections vidéo pour mon spectacle, alors j'ai encore plus pensé à la couleur. Je commence le spectacle avec Color Song, qui est un peu comme un lever de soleil, avec du bleu clair et du rose pâle. Ensuite, nous progressons vers la nuit en augmentant l'énergie pour finir dans une fête pour faire danser les gens. J'adore ça.

Q: Sur votre EP, Now That the Light Is Fading, on retrouve des sons provenant de la nature, notamment un oiseau et des insectes. Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur ces sons?

R: Tous ces sons représentent des endroits particuliers pour moi. Je les ai recueillis durant des voyages et des randonnées. Ce peut être le bruit d'une rivière, du vent, de ma propre respiration... J'ai choisi de faire de la musique pop, mais ce que j'ai voulu y ajouter avec mes créations, c'est un sens du lieu. Que mes chansons donnent ce sentiment d'être fabriquées maison, comme la musique folk que j'ai écoutée en grandissant, dans laquelle on a ce sentiment d'espace, d'air. La musique pop de nos jours est si condensée, elle me donne souvent l'impression d'avoir été créée dans une boîte parfaite, vidée d'air.

Q: Vous avez évidemment été largement interrogée à propos de Pharrell Williams, et vous avez déjà répondu que vous ne vous souveniez plus vraiment de cette rencontre. Est-ce un moyen de laisser ça derrière vous?

R: Non, je ne veux rien laisser derrière moi, parce que tout ce qui m'est arrivé fait en sorte que je suis là où je suis maintenant.

J'attache une grande importance à cette expérience, mais j'étais tellement présente à ce moment-là que je n'emmagasinais pas de souvenirs. J'étais plutôt occupée à ressentir une connexion. Je suis simplement reconnaissante que ça me soit arrivé.

Q: Comment gérez-vous le fait d'être devenue une personnalité connue?

R: Cet aspect-là est un peu bizarre, parce qu'avec la vidéo, ma musique s'est retrouvée sur l'internet sans que je le sache ou que je donne mon approbation. Je n'ai jamais voulu la gloire, je voulais juste faire de la musique. J'ai composé ces chansons pour moi, c'est une réflexion intime de ma propre vie. Découvrir après que cette musique résonne dans la vie de quelqu'un jusqu'à Tokyo ou Montréal, c'est incroyable. Je crois que la musique crée une communauté, et elle nous montre que nous avons plus en commun que nous le pensions peut-être. C'est l'une des belles choses que j'ai découvertes cette année.

Q: Aimeriez-vous utiliser cette célébrité pour peut-être attirer l'attention sur une cause?

R: Il y a tant de choses qui se passent dans le monde, et je crois qu'il est important que ceux d'entre nous qui bénéficient d'une plateforme l'utilisent pour éduquer les autres. Du moins, c'est mon opinion. Les causes de l'égalité entre les humains et de l'environnement me passionnent, alors je vais faire tout ce que je peux pour les défendre. Quoique je pense que prendre part au changement n'est pas ma responsabilité en tant qu'artiste, mais plutôt en tant qu'être humain.

Sur la scène des Arbres SiriusXM, aujourd'hui à 18h40